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les élections qui avaient suivi de près ce vote significatif ; mais cette majorité, trop peu compacte et trop peu nombreuse pour effrayer beaucoup une opposition poussée par le vent de la faveur publique, était d’ailleurs bien inférieure à ses adversaires en éloquence et en talent. Le chef du cabinet, lord North, n’était pourtant pas un homme médiocre. Un caractère parfaitement honorable, une rare habileté de discussion, un calme, une présence d’esprit que rien ne pouvait troubler, le soutinrent long-temps contre des difficultés en apparence insurmontables. Malheureusement, il lui était arrivé ce qui arrive presque toujours, dans les gouvernemens constitutionnels, aux ministres qui gardent long-temps le pouvoir. Peu à peu, tous les hommes éminens, les uns mécontens de la direction générale des affaires, les autres impatiens de la durée d’un cabinet qui ajournait indéfiniment leurs espérances ambitieuses, s’étaient rangés sous la bannière de l’opposition.

Cette opposition se partageait, comme du temps de lord Chatham, en deux fractions bien distinctes. La principale, le grand parti de l’aristocratie whig, n’avait pas cessé de considérer comme son chef dans la chambre des lords le marquis de Rockingham, autour de qui se rangeaient le duc de Portland, le duc de Richmond et la plupart des grands seigneurs. L’autre parti, moins nombreux, mais brillant encore de l’éclat que lui avait donné lord Chatham, combattait sous la direction de lord Shelburne, le plus illustre de ses disciples. Le premier de ces partis, plus systématique, plus constamment fidèle aux principes et aux doctrines de la révolution de 1688, s’était, dans les derniers temps, distingué du second par une plus grande propension à embrasser la cause des insurgés américains, dont il avait de bonne heure proposé de reconnaître l’indépendance.

La chambre des communes offrait, bien qu’avec des nuances différentes, la même classification de partis. L’éloquent et savant Dunning y était le principal représentant de celui de lord Shelburne. Les nombreux adhérens du marquis de Rockingham avaient à leur tête deux des plus grands hommes que l’Angleterre ait vu naître. Burke, alors âgé de cinquante ans, génie vaste et profond, plus propre peut-être par sa haute intelligence, par son imagination brillante et souvent désordonnée, par sa parole éclatante, par son humeur violente, inflexible, à influer puissamment sur l’opinion qu’à diriger un parti ; Burke était, à proprement parler, l’ame, la pensée des whigs, mais il n’était pas leur véritable chef. Ce chef, c’était Charles Fox, son élève. Fox n’avait guère plus de trente ans ; mais malgré sa jeunesse, malgré