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roi, et, sur sa réponse évasive, suivie bientôt d’une seconde adresse conçue dans le même sens. La chambre déclara, de plus, qu’elle considérerait comme ennemis du souverain et du pays ceux qui conseilleraient de continuer la guerre contre les colonies. Cependant lord North et ses collègues persistaient à ne pas se retirer. Pour les y contraindre, lord John Cavendish, frère du duc de Devonshire, présenta une nouvelle proposition dont l’objet était de provoquer leur renvoi. Cette proposition n’obtint que la minorité des suffrages, mais une minorité assez forte pour encourager les opposans ; aussi revinrent-ils bientôt à la charge. Cette fois encore ils échouèrent. Cependant, comme lord North, dans sa résistance opiniâtre, avait semblé suggérer l’idée d’une coalition qui l’eût maintenu au pouvoir en donnant satisfaction à ses adversaires, Pitt repoussa d’un ton sévère et méprisant ces singulières avances : il traita les ministres d’hommes d’intrigue et d’une incapacité démontrée, également dépourvus de délicatesse, de pudeur, de tous les sentimens et de toutes les facultés qui font les véritables hommes d’état. Au moment où lord Surrey allait déposer une troisième proposition, qui probablement aurait eu plus de succès que les deux premières, lord North annonça enfin, le 19 mars 1782, que le cabinet venait de donner sa démission. Rien, dit-on, ne pourrait donner l’idée des transports de joie qui accueillirent cette déclaration, depuis si long-temps attendue.

L’opposition, appelée à recueillir l’héritage du pouvoir, se composait, nous l’avons dit, de deux partis distincts, celui des whigs proprement dits, ou du marquis de Rockingham, et celui de lord Chatham, dirigé alors par lord Shelburne. Le concours de ces deux partis parut nécessaire, après la victoire qu’ils avaient remportée en commun, pour constituer une administration nouvelle. Le roi avait voué une aversion profonde au marquis de Rockingham, dont les opinions libérales et la loyale indépendance avaient plus d’une fois contrarié ses sentimens despotiques. Il avait, au contraire, assez de penchant pour lord Shelburne, plus adroit, plus souple, et qui d’ailleurs, à l’exemple de son maître lord Chatham, avait repoussé la complète émancipation des colonies, si odieuse à George III. C’est avec lui que ce prince se mit d’abord en communication pour constituer un nouveau cabinet ; mais lord Shelburne représenta au roi l’impossibilité de ne pas donner la première place au chef de la fraction la plus nombreuse de la nouvelle majorité, à un homme que ses antécédens, le respect et la considération universelle mettaient en quelque sorte hors de ligne. Le roi, après quelques jours d’hésitation, se décida