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Après la prise de Rhodes, le grand-maître Villiers de l’Ile-Adam s’était retiré à Syracuse, et cherchait où installer son ordre fugitif. On se décida, après beaucoup d’hésitations, à demander la cession de Malte à Charles-Quint, en lui faisant observer que cette île, inutile à son immense empire, lui deviendrait d’une utilité très grande en ce que les chevaliers réprimeraient les corsaires barbaresques, dont la hardiesse inquiétait ses flottes, et défendraient contre toute invasion les côtes souvent menacées de la Sicile. Le pape Clément VII appuya avec chaleur cette demande, qui fut accordée après quatre années de pourparlers. La cession de l’île fut faite à titre de fief noble, libre de toute redevance, avec droits de propriété, de seigneurie, de vie et de mort, etc. Pour conserver cependant une ombre de suzeraineté, on eut soin d’imposer aux chevaliers quelques charges bien minimes, sans doute, à notre point de vue, mais qui, dans les idées de l’époque, avaient leur importance morale. Ainsi, et c’était une des charges principales, ils s’engageaient à donner tous les ans un faucon au vice-roi de Sicile à titre d’hommage. Quand les chevaliers arrivèrent à Malte, il y eut un moment de désenchantement général ; ils ne s’étaient pas attendus à trouver une île si aride, si désolée, et devant ces tristes plaines de craie ils se rappelèrent avec désespoir les champs en fleurs de cette île de Rhodes, qui semble être une succursale terrestre du paradis de Mahomet. Les Maltais, que l’on n’avait pas consultés et que l’on livrait, sans savoir leur désir, à la domination toute féodale des chevaliers, se soumirent avec une extrême répugnance, et de ce jour commença entre les seigneurs et les vassaux une aversion secrète et réciproque dont on peut suivre dans l’histoire les effets jusqu’au dernier jour. L’ordre s’établit pourtant, et vécut à Malte deux cent soixante-sept ans, durant lesquels le pouvoir fut exercé par vingt-huit grands-maîtres, dont douze Français, savoir :

Villiers de l’Île Adam.
Didier de Saint-Jaille.
Claude de la Sangle.
Jean de La Valette.
Jean de La Cassière.
Hugues de Verdale,
Alof de Vignacourt.
Antoine de Paule.
Jean de Lascaris.
Annet de Clermont.
Adrien de Vignacourt.
Emmanuel de Rohan.

Ce serait une belle et dramatique histoire à écrire que celle de ces deux siècles, pendant lesquels de si héroïques évènemens s’accomplirent sur un si petit théâtre. Cette histoire n’existe chez nous qu’à l’état d’ébauche et de mémoires, car on ne peut, avec la meilleure