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se montra d’une extrême bienveillance ; sur un seul point, il fut inflexible. Le commandeur de Bosredon insistait pour que les chevaliers de l’ordre absens, de Malte sur congé reçussent la pension accordée à ceux qui s’y trouvaient. Bonaparte répondit qu’il regrettait fort, quant à lui, que tous les chevaliers ne fussent pas à Malte, mais que le directoire, sachant de bonne source que beaucoup de ces messieurs avaient fait campagne dans l’armée de Condé, annulerait tout l’article, s’il était ainsi étendu, et n’accorderait aucune pension. Il fallut se contenter de cette réponse. Le drapeau de l’ordre tomba sans gloire, et fut remplacé par l’étendard aux trois couleurs. Le grand-maître quitta Malte avec seize chevaliers ; quelques vieillards obtinrent de rester dans l’île ; quarante-quatre, plus jeunes et séduits par le jeune général, suivirent sa fortune : ils prirent du service dans l’armée républicaine, et allèrent en Égypte ; soixante-quatorze revinrent en France, où ils furent retenus à Perpignan jusqu’au 18 brumaire ; cinq furent capturés en route par les Anglais ; cent cinquante chevaliers italiens, espagnols, portugais et allemands se dispersèrent en Europe, et tout fut fini. Ce n’était pas ainsi que les hospitaliers avaient quitté Jérusalem, que les compagnons de Villiers de l’Ile-Adam avaient abandonné Rhodes !

Quoique occupé de bien autres projets, Bonaparte fonda en quelques jours des institutions utiles, et fit en moins d’une semaine ce que les gouvernemens qui l’avaient précédé n’avaient pu faire pendant des siècles ; il donna à Malte une excellente organisation politique et commerciale. Ces mesures auraient eu le meilleur résultat, si, obéissant à des habitudes révolutionnaires, il n’eût permis de dépouiller les églises de l’île de plusieurs objets précieux donnés autrefois par des souverains et des chevaliers. Cette spoliation excita chez les Maltais un grave mécontentement et n’enrichit guère la république, car la frégate la Sensible, qui fut chargée de rapporter en France ces trophées, fut capturée en route par les Anglais. Le 18 juin, Bonaparte mit à la voile pour l’Égypte, après avoir augmenté son armée d’une légion de 2,000 Maltais. Aussitôt après son départ, des agens secrets vinrent attiser la colère des populations, des troubles éclatèrent, et, quand le terrain fut suffisamment préparé, Nelson apparut avec une escadre et bloqua l’île. On sait le résultat de ce blocus, qui réduisit à une horrible famine la garnison française, déjà décimée par une épidémie. Le général Vaubois, ne recevant pas de secours, fut contraint, après une longue résistance qui lui fit le plus grand honneur, de signer, le 18 fructidor an VIII, une honorable capitula-