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comment il en profite ? savez-vous ce qu’il fait de toutes les œuvres qui ne sont pas des œuvres littéralement chrétiennes ? M. Lacordaire ne voit-là qu’ombres et ténèbres ; ce ne sont pour lui que des repoussoirs destinés à relever l’éclat de ce jour miraculeux qui doit tout d’un coup illuminer la terre ; jusqu’alors la terre est comme ensevelie et ne produit rien qui soit la vie véritable ; la vie n’aurait pour se soutenir que la raison de l’homme élevée naturellement jusqu’à Dieu ; ce n’est pas assez, ce n’est rien. Telles sont les conclusions qu’il faut à qui veut placer tout le mérite et toute la force du christianisme dans sa seule vertu surnaturelle, conclusions embarrassantes et ruineuses du moment où elles ne se trouvent pas suffisamment justifiées. M. Lacordaire réduit sa doctrine catholique à cet unique support de la révélation, sous prétexte qu’en dehors de la révélation même il n’y a plus ni vraie science ni vraie vertu. Que deviendra donc la sainte doctrine entre ces mains aventureuses, si nous n’avons qu’à regarder pour retrouver la vertu et la science partout où l’on avait soutenu qu’elles n’existaient pas ? Dire que le christianisme n’a point amélioré ce qui était bon, amendé ce qui était imparfait, ce serait l’erreur la moins philosophique. Dire que sans lui tout était mauvais et tout était faux, est l’illusion la moins chrétienne. C’est sur cette illusion que M. Lacordaire s’appuie en toute confiance pour démontrer historiquement la vérité catholique.

Autrefois, quand on voulait une démonstration historique de la divinité de l’Évangile, on allait chercher les prophéties et on les expliquait. Aujourd’hui, après toutes les attaques de l’exégèse allemande, me explication détaillée de ces prophéties encore si vivement controversées ne serait pas seulement de saison, elle serait de rigueur ; je ne sache pas d’enseignement auquel le prédicateur catholique dût tenir avantage, et pour bien des gens ce serait le plus efficace s’il était le deux établi. M. Lacordaire n’en juge pas de la sorte ; il ne voit rien au-dessus des théories philosophiques, politiques et sociales dans quelles il englobe tout l’univers. Pour lui, la preuve de fait du christianisme repose principalement sur des assertions comme celles que voici. 1° Le christianisme est divin, parce que l’intervention directe et immédiate de la Divinité pouvait seule transformer le principe de la souveraineté humaine. 2° Il est divin parce que jamais croyance n’a cédé comme lui de science positive et généreuse. Je prends ces deux points pour exemples de la façon dont M. Lacordaire argumente les choses de l’histoire ; tous deux lui sont si chers, qu’il les déclare essentiels. Vienne seulement la réalité pour contrôler les systèmes.