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cette tradition toute nationale gouverna l’esprit du XVIIe siècle. Plus tard sans doute on put croire un moment qu’elle s’était interrompue ; l’abaissement général des mœurs et le déclin d’un âge vieilli lui avaient enlevé son éclat : oisifs ou infidèles, ceux qui devaient la représenter de plus haut parurent la délaisser ; mais Bonaparte, en rassemblant autour de lui les hommes qui la conservaient encore, montra bien comment elle s’était sourdement perpétuée, comment la société religieuse saurait toujours accepter les progrès de la société civile, s’éclairer de ses lumières et lui prêter son appui.

La révolution française se réconciliait ainsi d’un seul coup avec la partie la plus irréconciliable du passé : ce n’était pas ce qu’il fallait à ces derniers champions qui défendent encore les ruines du monde ancien, reculant de brèche en brèche jusqu’à ce qu’ils rencontrent la plus vieille et s’y retranchent comme dans la plus inabordable. C’est au moment même où le pape et le futur empereur signaient un nouveau concordat, c’est alors justement que se formait à l’étranger cette école aveugle et violente à laquelle M. Lacordaire apporte aujourd’hui le secours d’une parole sympathique et d’un cœur généreux, école vraiment singulière qui s’élève et se multiplie, par une sorte de croissance artificielle, en haine de nos mœurs, de nos idées et de nos institutions, qui prétend posséder seule le sens des choses religieuses, qui se promet fièrement la conquête de l’avenir au nom des plus absurdes préjugés d’autrefois, et qui, pour devise, enfin, prend le mot de Danton : de l’audace, et toujours de l’audace ! Ces hardis esprits ont eu pitié des habiletés de l’ancien jésuitisme, et tout ce qu’ils ont emprunté de ce côté-là, c’est le goût de la domination ; ce qu’on ne sait pas assez, c’est la vraie source à laquelle ils ont puisé le reste de leur théologie, tant ils l’ont soigneusement cachée sous l’amas de leurs injures. Toute cette théologie se résout en une sentence qui est leur condamnation, comme elle a été celle des jansénistes, comme elle est celle que le protestantisme travaille toujours à détourner, comme elle sera de plus en plus celle de quiconque ne respectera point assez la grandeur et l’indépendance de la nature humaine : ils ont systématiquement exagéré les conséquences du dogme de la chute et alourdi le poids du péché originel. Mais ce qui les distingue et les met à part entre tous les fauteurs de cette erreur déplorable, c’est qu’elle est chez eux une erreur voulue, c’est qu’elle est le résultat de leurs théories plus que de leurs croyances.

Lorsque les jansénistes voulaient donner à la grace une part plus considérable dans le monde, ils ne songeaient qu’à la glorification de