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affectionne certaines formes, qui d’un peu loin pourraient contribuer à l’illusion. Le vrai pourtant, c’est qu’il ne se représente au net ni la société d’aujourd’hui ni la société d’autrefois, et quand il essaie de le faire, comme dans l’éloge de M. de Forbin-Janson, il approfondit si peu les choses, il reste tellement à la surface, que je conçois bien qu’il lui soit difficile de donner une solution, difficile au point de vue de la logique, quand ce ne serait point à celui de la prudence.

Il n’y a qu’une doctrine qui soit claire chez lui de ce côté-là : c’est une question d’école ; elle est par conséquent toute décidée du moment où l’on accepte l’école entière. M. Lacordaire refuse à l’état toute espèce de part dans la direction morale de l’humanité ; l’état, à ses yeux, n’est qu’un fait brut qui s’accomplit sans rapport essentiel et direct avec l’éternelle vérité ; c’est une série d’évènemens matériels qui se passent en dehors des idées et avec lesquels la conscience n’a rien à démêler ; jamais l’état n’a été dépositaire de la loi naturelle : ce grand dépôt a été remis au soin de la conscience humaine, et la conscience ayant faibli, Dieu l’en a déchargée pour le transporter aux mains de son église, qui se trouve ainsi exclusivement nantie de la vérité naturelle aussi bien que de la vérité divine. La conscience ne peut donc pas se rattacher immédiatement à l’état ; il faut qu’elle invoque l’intermédiaire de l’église ; la puissance civile a perdu le gouvernement de la pensée humaine ; elle ne peut y prétendre que quand elle s’abrite sous la puissance religieuse, pour faire de tel ou tel dogme la loi fondamentale de l’état : or, Rousseau lui-même a formellement établi que c’était le droit de la société civile d’empêcher tout acte extérieur contre la religion unanimement pratiquée dans un pays.

Nous ne répondrons pas : quand en chaire on cite Rousseau, du moins faudrait-il l’avoir lu. « Les sujets ne doivent compte au souverain de leurs opinions qu’autant que ces opinions importent à la communauté. Or, il importe bien à l’état que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs, mais les dogmes de cette religion n’intéressent ni l’état ni ses membres qu’autant que ces dogmes se rapportent à la morale et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui. » Voilà ce que disait Rousseau, tout le contraire de ce que M. Lacordaire lui fait dire ; voilà vraiment la force religieuse sur laquelle repose la société moderne. A ceux qui l’accusent d’être athée, on répond qu’elle est laïque. Si cela signifie quelque chose, cela signifie qu’elle serait religieuse par le consentement et la volonté de la simple raison, quand elle