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dans les chansons populaires d’Arndt et dans les hymnes éplorés du mystique Schenkendorf. A vrai dire, aujourd’hui que vingt ans ont passé sur ces emportemens terribles et que tant de haines se sont éteintes, tout ce bagage militaire nous touche médiocrement Morta la bestia, morto il veneno, observe en un langage grossier, mais expressif, certain proverbe italien. On en pourrait écrire autant, il me semble, de la poésie politique dont la valeur ne s’étend guère au-delà des évènemens qui l’inspirent, ce qui, en des temps comme le nôtre, réduit ce genre de lyrisme aux conditions d’un article de journal. Aussi, à plus d’un quart de siècle de distance, aurait-on mauvaise grace à venir prendre ces sonnets un à un pour chercher sous la rouille de leur cuirasse ce qu’ils peuvent avoir gardé de sentimens haineux et d’animosité contre la France, et, quand nous les interrogeons, c’est moins à cause de la question d’art qu’à titre de documens d’une grande et illustre époque où le poète qui nous occupe a figuré à sa manière.

Aux Sonnets cuirassés se rattache une série de préludes et d’appendices dans la même forme : ces derniers, publiés en 1817 sous le titre de Couronne du temps (Kranz der Zeit) ; les autres, restés inédits et gardés en portefeuille jusqu’au jour où Rückert, remaniant ses œuvres, donna par une classification ingénieuse le tour et l’ordonnance d’un poème à tous ces fragmens dépareillés. A travers les trois cycles dont se compose aujourd’hui ce recueil, vous suivez la filière des évènemens. Cela commence par des invocations sur le mode élégiaque à la grandeur passée de l’Allemagne, puis viennent les coups de canon et les fusillades ; enfin la paix s’annonce au monde, et le dithyrambe finit moriendo par un hymne à l’avenir. Je ne sache pas que les poésies patriotiques de Rückert aient jamais joui en Allemagne d’une popularité bien reconnue, et cette défaveur s’explique par leur nature même, trop exclusivement littéraire. Ce n’est pas avec des contre-points qu’on fait les Marseillaises. Voyez Max de Schenkendorf, Arndt, Théodore Koerner, les héros de la phalange, les véritables coryphées du mouvement. Celui-ci ne respire que patrie et liberté, et porte dans les tourmentes nationales la rêverie fiévreuse, l’extatique enthousiasme d’un saint du martyrologe ; celui-là, mêlé à l’action, attire sur ses chants la popularité de sa personne. Et d’ailleurs, que sont-ils, ces chants ? des improvisations à mettre en musique, de ces refrains aventureux dont un motif fait la fortune. Quant à Koerner, tombé à la tête d’un corps franc, la mort lui a valu le plus beau fleuron de sa couronne de poète, et, si ce n’était à cause du sang magnanime