Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

REVUE LITTERAIRE.




THEATRE-FRANCAIS. - VIRGINIE.




Les héritiers sont toujours pressés de jouir, et l’on a plus d’une fois enterré le malade avant que le décès fût bien constaté. L’histoire littéraire surtout est pleine d’évènemens de ce genre. En ce pays des lettres, on ne manque jamais, à l’occasion, de tuer les gens auxquels on veut succéder, se portassent-ils le mieux du monde, et d’embaumer sans façon, pour l’éternité, telle forme de l’art, qui n’en revivra pas moins demain avec éclat. Le procédé est expéditif, et si commode, qu’on ne doit pas s’étonner de le voir souvent mis en usage, et qu’il faut trouver tout simple que la tragédie en ait été quelque peu victime, il y a bientôt quinze ans. A cette époque, le drame arrivait à grand fracas, avec des prétentions exorbitantes, et l’on sait que les ambitieux de cette espèce sont dans l’habitude de faire table rase : il leur faut la place nette. Aussi le drame jugea-t-il tout d’abord qu’il n’avait rien de mieux à faire, pour commencer, que de se débarrasser de sa rivale, la tragédie, et sa résolution fut bientôt prise ; il marcha droit à elle, l’œil flamboyant, le poing sur la hanche, et criant : Malédiction ! il lui enfonça dans le sein sa bonne lame de Tolède. Cela fait, il ordonna qu’on la portât en terre, que le deuil fût conduit par des moines avec leurs cagoules, et que des fossoyeurs, empruntés à Shakspeare, chantassent, en comblant la fosse, je ne sais quelle chanson triviale et de mauvais goût.

Le drame crut donc, il y a quinze ans, enterrer pour jamais la tragédie,