Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marthe la Folle, poème de Jasmin


Dès long-temps populaire dans le midi de la France, la réputation de Jasmin a, depuis ces dernières années, trouvé un accueil marqué et sympathique de ce côté-ci de la Loire. Nous sommes fort loin, par nature, de l’entraînement méridional, et, malgré la séduction connue de son débit, le coiffeur d’Agen aurait ici retrouvé bien difficilement ses six mille auditeurs de Toulouse, ses bruyantes ovations de Bordeaux. Hélas ! il n’y a à Paris d’autre Capitole pour les poètes que la salle de l’Institut, et ce n’est pas là, on le sait, que le public a coutume de beaucoup applaudir aux vers. Peut-être le public a-t-il ses raisons. Quand Jasmin pourtant est venu chez nous, il n’a pas, tant s’en faut, été traité comme un lauréat ; on l’a au contraire écouté, ce qui est déjà un grand succès ; puis, tout naturellement, chacun a admiré les délicatesses savantes, les pittoresques saillies de ce talent original, je ne sais quel mélange de bonhomie railleuse et de sensibilité mélancolique, je ne sais quel don heureux d’allier aux expressives images d’un patois naïf toutes les combinaisons raffinées de l’art. Plusieurs écrivains diversement accrédités auprès du public ont déjà fait connaître aux lecteurs du nord les mérites de Jasmin ; on se rappelle entre autres l’article enthousiaste de Nodier. C’est dans ce recueil surtout qu’il semblerait superflu d’insister sur l’auteur des Papillottes : les lecteurs de la Revue n’ont pu oublier l’analyse que M. Léonce de Lavergne leur a donnée du poème de Françounetto, non plus que le portrait tracé ici même par M. Sainte-Beuve, ce grand juge aimable des poètes, comme l’a très bien appelé Jasmin,

Lou grau jutge amistous des grans cansounejayres.

Il est notoire maintenant que le spirituel perruquier d’Agen a ressaisi, après six siècles, la palme naguère si glorieuse du gai savoir, qu’il s’est approprié, avec une inspiration réelle et une verve harmonieuse, ce qui reste de grace à cette langue dégénérée, en un mot, que c’est le dernier et non indigne successeur des Sordel et des Bertrand de Born. Jasmin, dans son idiome local, dans ses vers gascons, n’a pas visé à la pureté érudite d’un La Monnoie ou d’un Goudouli ; mais il rencontre, bien autrement encore que le chantre des Noei Borguignons et que l’auteur du Ramelet Moundi, l’harmonie chantante et accentuée qui charme l’oreille, l’émotion tendre qui touche la foule. Voilà des dons qu’on ne saurait guère lui contester sans injustice. Ce n’est pas un de ces rimeurs plagiaires qui n’ont d’autre originalité que de faire, dans une échoppe et avec un tablier d’artisan, quelque médiocre pastiche de Lamartine ou de Béranger ; Jasmin est sorti du peuple, il en parle la langue, il ne copie personne, il a trouvé à la fin un genre propre et une manière. On a en lui le vrai poète populaire : là est son originalité, là est sa