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Le poète ouvre son troisième chant par une hymne sur le prêtre de village, qui n’a d’autre inconvénient que de trop éveiller dans l’esprit du lecteur les dangereuses réminiscences de l’incomparable Jocelyn : l’épisode, d’ailleurs, ne me paraît pas relié assez directement au sujet.

Marthe maintenant est heureuse : elle va revoir enfin ce fiancé dont elle n’a pas de nouvelles depuis trois ans. Sans doute, ce long silence inquiète un peu la jolie amoureuse : — comment Jacques n’a-t-il pas écrit ? Jacques pourtant n’a point de famille, et son cœur doit appartenir sans partage au cœur qui s’est donné à lui. À présent, Marthe n’a plus à elle qu’une petite chaise, son dé, son étui, son rouet ; elle file de la laine, elle coud de la toile, qu’importe ? Jacques bientôt reviendra, il ne l’en aimera que plus ; on n’est jamais pauvre quand on aime. Jasmin exprime par une gracieuse image tout ce frêle bonheur qu’édifie volontiers l’espérance ; il faut citer ce texte charmant que la traduction décolore :

« Et la fillo trabaillo, et touto la semmâno,
« Entre de glouts de mél et de flots de parfums,
« Soun roudet bîro, bîro, et soun didal s’affâno,
« Et sa pensado trèsso aoutan de jours sans cruns
« Que sa boubino en trin pren de puntats de lâno,
« Que soun aguillo fay de puns ! »

Et la fille travaille, et toute la semaine,
Entre des gouttes de miel et des flots de parfum,
Son rouet tourne, tourne, et son dé se dépêche,
Et sa pensée tresse autant de jours sans nuage
Que sa bobine en train prend de brassées de laine,
Et que son aiguille fait de points !

Ce dévouement de Marthe, son amour, furent bientôt un sujet d’admiration pour toute la contrée : chacun voulut donner son témoignage à la belle fiancée. La nuit, c’étaient de longues sérénades et des guirlandes qu’on suspendait à sa porte ; le jour, c’étaient les présens que lui apportaient à l’envi toutes les jeunes filles d’alentour. Et Marthe, de sa chambrette, écoutait les chansons qu’on lui faisait ainsi sur son bonheur naissant, et son sommeil même se berçait avec ces rêves d’avenir. Enfin (c’était un dimanche matin), le bon curé vient trouver Marthe, au sortir de la messe : son front est joyeux : une lettre à la main, il lui annonce le retour de Jacques. Jacques était racheté, et il n’avait même pas pensé à remercier Marthe, croyant que sa propre mère avait à la fin reconnu le pauvre enfant trouvé. Marthe se sentit plus heureuse encore de cette erreur : elle pouvait ainsi ménager à celui qu’elle aimait l’entière surprise de la reconnaissance. — Mais bientôt le jour marqué pour le retour du soldat arrive, et tout le village se fait une fête d’aller au-devant de lui. Ici a lieu toute une scène dramatique, rendue par le poète d’une façon véritablement touchante ; le style même prend un certain air de grandeur. Il faudrait citer en entier ce passage plein d’émotion. On le devine, Jacques