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la contradiction tenait à une équivoque. Il était défendu à La Bourdonnais de conserver sa conquête, et il était enjoint à Dupleix d’en disposer. Si tous les deux avaient été informés de la politique ministérielle, la mésintelligence entre eux serait devenue impossible. Un cabinet loyal aurait tracé à l’un et à l’autre la limite de ses attributions et de ses droits ; il aurait dit à La Bourdonnais : « Vous n’êtes que le chef de l’escadre ; une fois la ville prise, vous n’en disposerez pas, vous la remettrez à Dupleix qui, en qualité de gouverneur de l’Inde, doit seul décider du sort de votre conquête. Comme gouverneur de l’île de France, vous n’avez aucune autorité à exercer sur la côte de Coromandel ; une fois à terre, hors de votre gouvernement, vos pouvoirs cessent, ceux de Dupleix commencent. » Rien n’eût été plus simple et plus clair, il n’y aurait eu matière à aucun conflit ; mais le ministère ne voulait pas l’union de ces deux hommes, il voulait les balancer l’un par l’autre, quitte à désavouer au besoin celui qui ne serait pas entré dans ses vues du moment. L’ambiguïté des instructions officielles autorisait La Bourdonnais à penser qu’il était quelque chose de plus qu’un chef d’escadre ; il devait se croire et il se crut en effet investi de la confiance de la compagnie et dépositaire du secret des ministres. Il le crut d’autant plus aisément que, rival de Dupleix et désirant sa place, il était flatté dans cette espérance par la fausseté du ministère. La Bourdonnais emportait avec lui les provisions en bonne forme de gouverneur-général des Indes dans le cas où il arriverait quelque chose au sieur Dupleix.

Tenu au courant par les bureaux, où il avait beaucoup d’amis, Dupleix fut sans doute informé des prétentions de son successeur futur ; il est aisé de juger s’il se sentit satisfait d’être ainsi remplacé d’avarice. Quels que fussent leur patriotisme et leur sagesse, aucune harmonie ne pouvait s’établir entre eux. Le ministère avait divisé ceux qu’il aurait dû s’efforcer d’unir, que surtout il aurait été prudent de ne pas mettre en présence. Inférieur par l’intelligence politique à Dupleix, La Bourdonnais lui était supérieur par les talens militaires et par l’ancienneté des services. Il ne pouvait être subordonné à un administrateur plus jeune et jusqu’alors moins connu. Il ne pouvait servir d’aide-de-camp à Dupleix ; c’eût été exiger trop d’abnégation, et pourtant il n’y avait pas entre eux d’égalité réelle. Ils se ressemblaient trop à beaucoup d’égards, et étaient trop peu homogènes sous des rapports plus essentiels, pour être employés utilement ensemble. La diversité de caractère les divisa bien plus encore que la jalousie. Ils finirent par y être accessibles ; mais, soit légèreté, stupidité