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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/414

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que Dupleix avait entretenues dans la ville par sa famille, par ses amis, et surtout par son adroite conduite avec les princes de l’Inde, dont l’alliance était la base de son système politique. Pour empêcher Anaverdykan, nabab ou gouverneur de Karnatik, de secourir Madras, il avait promis à ce chef de lui remettre la ville, dès qu’elle serait au pouvoir des Français. La prise en avait été assurée par l’inaction du nabab ; elle avait été rendue plus facile encore par le petit nombre des Anglais, et surtout par l’inconcevable mollesse de leur défense. Les embarras du siége ne furent donc rien près de ceux de la conquête.

Madras étant tombé au pouvoir des Français, la mésintelligence provoquée par le ministère éclata entre les deux gouverneurs. En faisant capituler les Anglais, La Bourdonnais avait stipulé qu’on leur rendrait la ville rançonnée et démantelée. Dupleix s’y opposa, et déclara la capitulation nulle. Non-seulement il s’opposa à la restitution de la ville, mais il exigea qu’elle fût rasée. La Bourdonnais réclama vivement contre cette violation de sa parole, et contesta à qui que ce fût le droit de disposer de Madras, sa conquête ; c’était à lui seul de décider de son sort. Dupleix répondait à La Bourdonnais qu’il n’était que le chef de l’escadre, et que ses pouvoirs cessaient avec sa victoire ; qu’un gouverneur de Bourbon et de l’Ile de France n’avait à décider de rien dans l’Inde, dont lui, Dupleix, était seul gouverneur. Tous deux soutinrent la lettre de leurs instructions, dont l’ambiguïté fallacieuse éclata dans tout son jour. Au plus fort de cette dispute, des agens de la compagnie anglaise, qui s’étaient rendus sur la fin de la capitulation, s’enfuirent, ne se croyant plus en sûreté. De ce nombre était un jeune homme employé dans les bureaux du comptoir anglais, un obscur commis qu’on appelait Clive.

La Bourdonnais se croyait maître de la situation. Non-seulement il estimait ses pouvoirs supérieurs à ceux de Dupleix, il le jugeait disgracié, perdu, parce qu’on avait déjà disposé éventuellement de son héritage. Il se croyait sûr de le remplacer dans le gouvernement de l’Inde ; mais le malheureux ne savait pas qu’on lui avait tendu un piège ; qu’à l’abri de tout revers, Dupleix avait le mot des ministres, qu’il leur avait communiqué le projet du siège de Madras, et qu’il en avait reçu, comme nous l’avons vu, l’ordre secret d’établir son autorité dans la place dès le lendemain de la conquête. Il ignorait aussi que Dupleix était indépendant du conseil supérieur de Pondichéry. Dupleix ne révélait pas le secret de ses maîtres ; mais, sûr de leur approbation, il exigeait de La Bourdonnais l’évacuation et la remise immédiate de