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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/429

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créature, afin de nous aider à renverser le nabab Anaverdykan, devenu l’ennemi de la France et l’allié des Anglais depuis que Dupleix avait refusé de lui livrer Madras. Il fallait lui opposer un compétiteur. Ce compétiteur était tout trouvé. C’était un prince mogol nommé Chundasaëb, issu de l’ancienne famille des nababs du pays dépossédée par Anaverdykan. Chundasaëb avait eu des rapports d’amitié avec le prédécesseur de Dupleix et avec Dupleix lui-même. Maintenant il languissait prisonnier des Marattes, qui l’avaient jeté dans les fers pour venger une reine de leur race, égorgée et séduite par cet Indien. Ses mœurs, on le voit, n’avaient rien de doux ni de facile. Chundasaëb n’en était pas moins un des plus civilisés parmi les princes de l’Indostan ; cruel quelquefois et fin jusqu’à la ruse, comme la plupart de ses compatriotes, il n’était incapable ni de générosité ni de reconnaissance. Du fond de sa prison, Chundasaëb n’avait cessé de correspondre avec Dupleix, ou plutôt avec sa femme. Elle se nommait Jeanne de Castro ; c’était une créole, Portugaise d’origine, veuve d’un négociant français. Douée de beaucoup d’adresse et de courage, prodigue de ses richesses et de son dévouement, très accoutumée aux nombreux dialectes de l’Inde, elle avait puissamment secondé Dupleix dans tous ses desseins. Peut-être même avait-elle éveillé son ambition. Connue, estimée, recherchée des divers dynastes de la presqu’île, traitée par leurs femmes comme leur égale, elle n’était point pour eux une étrangère. Sa renommée s’étendait dans tout le continent indien, non pas sous son nom européen de marquise Dupleix, mais sous le nom à moitié indigène de Joanna Begum, la princesse Jeanne. Elle était désignée ainsi de Chandernagor à Delhy et de Pondichéry à Benarès.

Opposer Chundasaëb à Anaverdykan fut donc la pensée-mère du gouverneur français ; de là à reconnaître Mursapha pour vice-roi du Dekhan, il n’y eut qu’un pas. Nazyr était le protégé des Anglais et le protecteur d’Anaverdykan ; Nazyr et Anaverdykan devenaient nos ennemis directs. Dupleix, décidé à les combattre l’un après l’autre, commença par le vassal. Ayant donné des troupes à Chundasaëb, délivré par son influence et par son or, Dupleix le lança contre son rival. La rencontre fut sanglante et décisive. Portés sur des éléphans, les deux nababs se heurtèrent dans la mêlée. Anaverdykan, toujours intrépide, mais âgé de plus de cent ans, fut renversé dans le choc et roula du haut de son énorme monture avec sa tour et son drapeau. Le butin fut considérable ; une caisse militaire abondamment garnie, une profusion de bijoux, d’armes, des approvisionnemens de toute espèce, des chevaux, des chameaux, soixante éléphans, devinrent le prix de