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à jamais assurée le jour où Nelson put voir, avant d’expirer, les eaux de Trafalgar engloutir les tristes débris de ces deux grandes fortunes maritimes que les petits-fils de Louis XIV avaient fondées avec les traditions du grand roi, et qui semblèrent n’avoir une dernière fois uni leurs destinées que pour périr ensemble et périr avec plus d’éclat.

La marine espagnole ne se releva point de ce coup terrible ; la France supporta mieux ce revers, et bien que, dans les quinze dernières années de la guerre, de 1800 à 1815, elle eût perdu 43 vaisseaux, 82 frégates, 26 corvettes et 50 bricks, dont la valeur était évaluée à environ 202 millions de francs, l’empire, au moment de sa chute, avait à peu près réparé ces pertes, et s’il ne transmit point intact à la France l’héritage de Louis XVI, s’il ne put lui restituer ses magnifiques colonies, pépinières de sa marine, sources de prospérité et de grandeur à jamais fermées, il lui laissa du moins une flotte à peu près égale à celle qu’il avait reçue de l’ancienne monarchie.

Pour sauver notre marine d’une ruine totale, il fut heureux que tant de leçons nous eussent enfin obligés à comprendre le danger des armemens précipités et des levées en masse appliquées à la guerre maritime. Après Trafalgar et Santo-Domingo, il fallut bien s’avouer que, dans des combats d’artillerie, ni l’élan du courage, ni l’exaltation la plus héroïque, ne peuvent tenir lieu de la précision et de la rapidité du tir, et que de toutes les combinaisons de la tactique, la plus sûre pour un amiral est de réunir sous ses ordres une escadre dont chaque vaisseau puisse faire son devoir. Quant à l’empereur, dont le coup d’œil d’aigle traçait pour nos flottes des plans de campagne, comme il en traçait pour ses armées, ces revers imprévus fatiguèrent son génie et lassèrent sa constance : il détourna ses yeux du seul champ de bataille où la fortune lui eût été infidèle, et, décidé à poursuivre l’Angleterre ailleurs que sur les mers, il entreprit de recomposer sa marine, mais sans lui réserver aucune part active dans cette lutte devenue plus acharnée que jamais. C’est ainsi qu’il voulut la punir d’avoir si souvent trompé son espoir. Toutefois, loin de se ralentir, l’activité de nos arsenaux sembla redoubler. Chaque année, quelques vaisseaux s’élevèrent sur nos chantiers ou s’ajoutèrent à notre flotte. Des rives de l’Elbe au fond de l’Adriatique, tous les ports concoururent à l’accomplissement des projets de l’empereur. Des escadres nombreuses furent rassemblées dans l’Escaut, dans la rade de Brest et dans celle de Toulon. Tenues en haleine par la présence de l’ennemi, constamment exercées dans l’attente du combat, il leur manquait encore l’habitude de la mer, mais elles représentaient déjà une force réelle,