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grattant ou en les détériorant par une brûlure superficielle, était un genre de mutilation plus facile et non moins efficace que de renverser ces gigantesques colonnes, ces massifs pylônes, ces colosses en granit de quarante et de soixante coudées. L’état de ces sculptures dépose donc contre le fait des ravages qu’on prête à Cambyse aussi bien qu’à Ochus et Sôter. Hérodote, qui parle des dévastations du premier à Memphis et à Saïs, ne dit pas un mot de Thèbes, et un fait seul démontre que cet insensé, en passant par cette ville à son retour d’Éthiopie et il paraît bien que c’est la seule fois qu’il l’ait visitée), n’y a pas accompli tous les désastres qu’on lui prête ; car les prêtres thébains montrèrent à Hérodote les trois cent quarante-un colosses de bois, qui marquaient la succession des grands prêtres de père en fils, depuis plus de onze mille ans[1]. Assurément si Cambyse, pour mutiler les édifices de Thèbes, avait voulu les calciner et les détruire par le feu, comme on le dit plus tard, et cela dans un pays où le bois est si rare, la première chose qu’il devait faire était de brûler cette forêt de colosses, comme il avait fait de ceux des Cabires à Saïs. Quelle fortune en effet, pour un furieux de son espèce, de pouvoir alimenter l’incendie d’un temple avec les statues même de ses prêtres ou de ses dieux ! Quand on voit Hérodote ne pas dire un mot des ravages de Cambyse à Thèbes, lui qui nous raconte si minutieusement ceux que ce prince avait ordonnés à Saïs et à Memphis, on se prend à croire que le bon sens de l’historien a senti que, si ces ravages eussent été réels, c’était par les trois cent quarante colosses en bois que Cambyse aurait dû commencer. Quant aux tremblemens de terre, les Égyptiens n’en parlaient pas non plus. Le colosse de Memnon, peu d’années avant Strabon, avait été brisé par une secousse violente. L’accident était trop voisin pour qu’on pût alors mettre la mutilation sur le compte du roi de Perse : aussi Strabon en donne la véritable cause ; mais un siècle et demi après, au temps d’Adrien et des Antonins, le nom de Cambyse reparut, et le brisement du colosse fut mis sur la liste déjà si longue de ses méfaits. Selon toute apparence, il n’aura pas brisé davantage le fameux colosse dit d’Osymandyas, qui gît maintenant sur le sol. Les voyageurs ont peine à comprendre qu’il ait pu être renversé sans le secours de la poudre ou sans une violente secousse de tremblement de terre. Sir G. Wilkinson hasarde même la conjecture que ce colosse a pu être brisé, depuis l’invention de la poudre, par les Arabes, qui ont mutilé tant d’autres monumens[2].

  1. Herod., II, 143, 143.
  2. Modern Egypt and Thebes, t. I, p. 144.