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qu’il proposa. Trente-six bourgs tombés dans un état de complète décadence auraient été, non pas privés de leur droit électoral, mais autorisés à y renoncer, moyennant une indemnité pécuniaire que le parlement eût allouée aux électeurs. Le droit de nomination des soixante-douze députés appartenant aux bourgs supprimés devait passer aux comtés et augmenter ainsi la proportion de la représentation territoriale. Si, après l’extinction de ces trente-six bourgs pourris, d’autres, également déchus, demandaient aussi à vendre leur privilège, ce droit pourrait être acheté par les villes populeuses et opulentes qui, à raison de leur existence nouvelle ou de leur agrandissement récent, n’envoyaient pas encore de députés au parlement. Enfin la qualification électorale, réservée jusqu’alors, par une distinction provenant des temps féodaux, aux seuls francs-tenanciers, aux freeholders, devait être étendue à une autre classe de propriétaires désignée sous le nom de copyholders, et qui n’était depuis long-temps séparée de la première que par une nuance purement nominale.

L’ensemble de ce projet était bien étrange ; il eût été difficile de porter plus loin le respect superstitieux des abus consacrés par le temps. Partout ailleurs, à toute autre époque, on eût considéré la proposition faite à des électeurs de vendre en une seule fois et pour toujours leur prérogative comme une sanglante satire de l’usage qu’ils en faisaient journellement. Ce ne fut pas sous de telles objections que succomba la motion de Pitt. Fox blâma, il est vrai, cette clause révoltante : toujours fidèle, dans ses nobles théories, aux éternels principes de la justice et de la morale, il s’indigna à la pensée qu’un droit conféré dans l’intérêt général pût devenir pour ses dépositaires une propriété aliénable à leur bénéfice ; mais d’autres considérations déterminèrent le vote de la majorité. Si, sur un nombre total de 422 votans, 248 refusèrent de prendre cette motion en considération, c’est parce qu’ils pensèrent que, l’opinion publique n’exigeant pas encore la réforme, il était tout à la fois inutile et dangereux de s’aventurer dans une expérience dont rien ne déterminait d’avance la portée, et de compromettre une situation incontestablement bonne dans l’espérance incertaine de l’améliorer ; c’est surtout parce qu’ils voulurent voir dans les bourgs pourris une porte ouverte pour des hommes de mérite qui, exclus par le manque de fortune des voies régulières, mais trop dispendieuses, de la députation, pouvaient y arriver gratuitement sous le patronage des grands seigneurs propriétaires des bourgs. Tels furent les principaux argumens énoncés par les orateurs de la majorité.

Ce qui peut faire supposer que Pitt vit sans beaucoup de regret le