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plus prévoyant cette fois, comme l’expérience devait le prouver un demi-siècle plus tard, soutint au contraire que l’organisation proposée aurait pour effet d’enraciner davantage cette distinction de races qu’on voulait faire disparaître ; mais il ne borna pas là ses objections contre le projet ministériel : il en combattit presque toutes les clauses comme trop peu favorables à la liberté, comme entachées surtout d’un esprit de privilège. Il ne dissimula pas qu’au conseil législatif nommé par le roi, il aurait préféré un conseil électif ; il repoussa surtout d’une manière absolue l’idée que ce conseil pût jamais être rendu héréditaire. Tout en reconnaissant qu’il serait imprudent de supprimer l’hérédité là où elle se liait au principe de la constitution, il avoua franchement qu’elle lui plaisait peu. Il parla des distinctions aristocratiques avec un dédain affecté ; il blâma comme excessive la dotation territoriale affectée par le bill au clergé anglican ; enfin, il reprocha sévèrement au cabinet de n’avoir pas modelé la constitution du Canada sur les constitutions des États-Unis.

Ces doctrines républicaines contre lesquelles Pitt crut devoir protester avec autant d’énergie que de mesure, cette reproduction violente et déclamatoire des maximes qui avaient alors en France un si grand retentissement, prouvent avec quelle force la révolution française agissait, de l’autre côté du détroit, sur un grand nombre d’esprits, même des plus élevés, des plus puissans, des plus sincèrement attachés jusqu’à cette époque aux institutions et aux doctrines de la vieille Angleterre. On ne tarda pas à en voir une démonstration plus éclatante encore. Dans un accès d’enthousiasme vraiment incompréhensible, Fox déclara que toutes ses vues sur la politique extérieure avaient été complètement changées par les évènemens dont la France venait d’offrir le spectacle ; qu’il n’attachait plus aucune importance au maintien de la balance du pouvoir depuis que les Français avaient fondé un gouvernement dont les autres états ne pouvaient plus craindre d’injustes provocations ; il proclama la constitution française, celle de 1791, le plus prodigieux, le plus glorieux monument que la sagesse et la vertu eussent jamais élevé, dans aucun temps et dans aucun pays, au bonheur du genre humain. Sheridan, qu’on s’étonne moins de rencontrer dans de telles voies, parce qu’en lui la vivacité d’une imagination irlandaise et poétique domina constamment toutes les autres facultés, Sheridan exprima l’opinion que, par la chute de l’ancien gouvernement français, de ce gouvernement tracassier, intrigant, incapable de repos, toute cause d’inimitié avait disparu entre les deux pays, et il manifesta l’espérance que le grand exemple donné