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De pareilles dispositions ne permettaient aucun espoir aux partisans de la réforme parlementaire, si souvent demandée sans succès dans un temps où les idées d’innovations étaient loin d’inspirer autant de défiance. Ils crurent pourtant devoir faire une nouvelle tentative. Il existait alors à Londres deux associations politiques qui avaient pris également cette réforme pour le but de leurs efforts, mais qui la voulaient à des degrés différens. L’une, dite la Société correspondante, composée surtout de commerçans, ne réclamait rien moins que le suffrage universel. L’autre, qui venait seulement de s’établir sous la dénomination de Société des Amis du Peuple, professait, sur ce point, des doctrines moins radicales et moins absolues. Elle se bornait à demander que le droit de suffrage fût étendu à un plus grand nombre de personnes et qu’on abrégeât la durée des parlemens. Cependant, si son but avoué n’était pas de nature à effrayer autant les esprits timides ou conservateurs que celui de la Société correspondante, sa composition devait leur inspirer de sérieuses alarmes. A côté d’un bon nombre de whigs sincèrement attachés à la constitution et à la religion du pays, elle renfermait dans son sein des républicains avoués, des presbytériens, des catholiques, des unitaires même ; des hommes connus seulement par des écrits séditieux y siégeaient avec les représentans des plus grandes et des plus riches familles de l’Angleterre. On y comptait environ trente membres de la chambre des communes, Grey, Sheridan, Erskine, Whitbread, Mackintosh ; Fox avait refusé d’en faire partie, disant, dans un accès de découragement, qu’il ne voyait pas de remède efficace aux vices incontestables du système électoral.

La société avait décidé qu’une motion serait faite au parlement en faveur de la réforme, et Grey avait été chargé, conjointement avec Erskine, de soutenir et de diriger la discussion qui s’élèverait à ce sujet. Il annonça à la chambre des communes qu’il lui présenterait, dans le cours de la session suivante, un projet conçu dans la pensée de fonder sur de meilleures bases la représentation nationale. A peine avait-il cessé de parler, que Pitt se leva avec une vivacité extraordinaire. Il s’écria qu’il n’était pas possible de prononcer, sur cette matière, un seul mot qui ne soulevât des questions de l’importance la plus extrême pour l’existence même de l’état. Il avoua qu’il avait désiré la réforme à une époque où le pays était menacé par des dangers d’une autre nature, la prépondérance excessive de la couronne et une banqueroute imminente, et que, sans jamais nier la légitimité des bases sur lesquelles reposait la représentation nationale, il avait cru utile d’établir des liens plus étroits entre le peuple et le parlement ;