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leur génie ; et s’il n’en reste plus maintenant, c’est que le temps les aura détruits. Or, ceci n’est pas une simple conjecture.

Pline fait mention d’un obélisque que Nectanebo (il l’appelle Nectabis) avait fait tailler à Syène, par conséquent en granit rose. Cet obélisque était resté dans la carrière, non sculpté, sans doute parce que la mort du roi n’avait permis ni de le finir, ni de l’amener à Sebennytus, où le roi faisait sa résidence[1]. Ce fut Ptolémée Philadelphe qui le fit transporter de Syène à Alexandrie, où il fut élevé sur une des places de cette ville, et Pline remarque que le transport et l’érection de cet obélisque exigèrent de plus grands travaux que la taille même du monument dans la carrière.

Pourquoi cet obélisque non sculpté attira-t-il assez l’attention de Ptolémée Philadelphe pour qu’il prît la peine de le faire venir de si loin, quand il en avait tant d’autres, tout sculptés, plus près de sa capitale, à Memphis, à Héliopolis, à Saïs, et en divers lieux du Delta ? On ne voit à cela qu’un motif : c’est l’extraordinaire grandeur de cet obélisque, qui le mettait en quelque sorte hors de ligne. En effet, Pline ne nous laisse pas ignorer qu’il avait 80 coudées de haut ; ce qui équivaut à 37 mètres, ou 113 pieds, en coudées grecques, et à 42 mètres, ou 126 pieds, en coudées d’Éléphantine. Cet obélisque surpassait donc d’au moins 7 mètres (21 pieds), et peut-être de 12 mètres (36 pieds), le plus grand des obélisques connus, celui du nord à Karnak ; et, comme nul ne présumera que Nectanebo eût fait tailler ce morceau gigantesque pour le laisser dans la carrière, et ne le point amener et dresser dans sa résidence, il faut bien admettre que les Égyptiens possédaient encore les moyens d’exécuter ce prodigieux travail. C’est Ptolémée Philadelphe qui l’exécuta effectivement un siècle plus tard.

Ceux qui veulent que les Égyptiens aient, au temps des rois de la dix-huitième dynastie, possédé des ressources extraordinaires en mécanique, sont bien obligés d’avouer qu’ils les possédaient encore au moment de l’arrivée d’Alexandre et même sous la dynastie lagide. Les Grecs, depuis Psammitichus, n’avaient pu manquer de les leur

  1. Il parait bien que les obélisques n’étaient pas sculptés sur place. C’est ce qui explique pourquoi il en existe qui sont entièrement nus ; tels sont les deux qui avaient été placés en avant du tombeau d’Auguste à Rome, dont l’an orne la place de Sainte-Marie-Majeure, l’autre celle de Monte Cavallo. J’ai toujours pensé que ceux dont les sculptures appartiennent à l’époque romaine, depuis Domitien jusqu’à Adrien, à savoir ceux du Monte Pincio, de la place Navone, et ceux qui portent les noms de Borgia, de Mattei et d’Albani, sont d'anciens obélisques, sculptés plus tard, soit à Alexandrie, soit à Rome même, par des Égyptiens.