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des pensées qui appartiennent purement à l’esprit, quoiqu’elles soient occasionnées par le corps, il est visible qu’elles ne sont plus que l’esprit même, et qu’ainsi elles remplissent toute sa capacité. Je ne parle que des passions de feu… La netteté d’esprit cause aussi la netteté de la passion ; c’est pourquoi un esprit grand et net aime avec ardeur, et il voit distinctement ce qu’il aime. »

On montre encore dans la Cité, au nord du chevet de Notre-Dame, près l’ancien quartier du cloître, à l’extrémité d’une rue étroite et tortueuse, toujours habitée par des membres du chapitre métropolitain, et dont les abords sont en tout temps parcourus, comme au moyen-âge, par des clercs de tous grades, revêtus des costumes pittoresques du clergé nombreux et complet d’une riche cathédrale, la maison qu’une tradition locale désigne comme celle du chanoine Fulbert[1]. Elle est près de la Seine, dont la sépare seulement un quai, plus élevé maintenant que le sol de la rue où elle est bâtie. Au moyen-âge, vers 1116 ou 1117, le terrain devait, du pied de cette maison, aller en pente jusqu’à la rivière et former l’emplacement de l’ancien port Saint-Landry ; des fenêtres de la maison, on devait voir en plein la vaste grève où s’élève aujourd’hui cet Hôtel-de-Ville, magnifique palais des révolutions.

C’est là, dans cette demeure modeste, au jour sombre que des fenêtres étroites laissaient pénétrer dans la chambre simple et rangée d’une jeune bourgeoise de Paris, ou bien à la lueur rougeâtre d’une lampe vacillante, qu’Abélard, impatient et ravi, venait employer à séduire une pauvre fille sans expérience et sans crainte le génie qui soulevait

  1. C’est la première maison à gauche en entrant dans la rue des Chantres, où l’on descend du quai Napoléon par un escalier. Une inscription au-dessus de la porte désigne cette maison à la curiosité des passons, elle est ainsi conçue :
    HÉLOÏSE, ABÉLARD HABITÈRENT CES LIEUX,

    DES SINCÈRES AMANS MODÈLES PRÉCIEUX.

    L’AN 1118.

    Dans l’intérieur de la cour, un double médaillon, incrusté dans le mur, offre le profil d’une tête d’homme et d’une tête de femme : on dit que c’est Héloïse et Abélard. Cette sculpture est très-postérieure au XIIe siècle ; M. Alexandre Lenoir pense qu’elle en remplace une plus authentique, et qu’elle est l’ouvrage de restaurateurs ignorans, peut-être non antérieurs au XVIe. La maison n’est pas ancienne, ou du moins, ses murs extérieurs ont été récemment bâtis ; la disposition générale des murs et surtout de l’escalier pourrait bien être du temps. On ne donne nulle preuve de la tradition attachée à cette maison ; mais cette tradition a sa valeur par son existence même. On dit, dans le quartier, qu’Abélard habitait la maison située à gauche et qui est remplacée par une grande construction moderne. Turlot donne sur tout cela quelques détails hasardés, et la lithographie du médaillon. (Abail. et Hél., p. 153 et 154. — Mus. des Mon. Franc., t. I, p. 223.)