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études sur la civilisation de l’égypte ancienne.


nées de plus ou de moins. Il est probable qu’il avait devant les yeux le fameux passage d’Hérodote sur les onze mille trois cent quarante ans du règne des anciens rois[1].

Quoi qu’il en soit, je ne prends ce passage que comme exprimant la haute antiquité où se perdait, selon Platon, l’origine de l’art égyptien. Il croyait que, pendant un nombre immense d’années, cet art n’avait subi aucun changement. Les sculptures et les peintures égyptiennes qu’on faisait de son temps n’étaient, dit-il, ni plus belles ni plus laides qu’auparavant. Cette expression, où perce un léger sentiment de dédain, sent un peu l’Athénien, médiocrement épris du mérite d’un art incomplet, qui lui offrait à la vérité des proportions toujours justes, parfois élégantes et régulières, une assez grande pureté de lignes, souvent même un jet simple et grandiose, mais qui n’avait jamais su rendre d’une manière tant soit peu exacte une main, un pied, ni le modelé d’un muscle. Parmi les sculptures qu’on lui montrait, il y en avait sans doute qu’on lui disait contemporaines des pyramides ou même de plus anciennes encore, d’autres qui avaient été exécutées sous les Sésostrides, d’autres enfin qu’il voyait actuellement sortir de l’atelier de l’artiste, toutes ayant même aspect, et dérivant, comme il le dit, d’un même art ; c’est que, bien que l’Égypte dût alors lui offrir une multitude de monumens des plus anciennes époques, à présent détruits, il ne pouvait, pas plus que nous, y découvrir des œuvres appartenant aux premiers temps de cet art. À cette époque, comme de nos jours, l’art égyptien ne se manifestait que par les productions de son âge adulte ; il ne se montrait que tout formé déjà, dans des œuvres où Platon, en y regardant bien, apercevait toujours le même aspect. Ces productions, semblables à elles-mêmes, quoique d’époques si éloignées, produisaient donc sur son œil, qui devait pourtant être exercé par la comparaison de tant d’œuvres diverses, justement l’effet que produit sur nous le torse de Nectanebo, rapproché des ouvrages du temps de Menephtah, époque à laquelle appartiennent les travaux égyptiens les plus parfaits. Les différences sont presque insensibles pour nous, et, sans les indices chronologiques fournis par les noms royaux, nous serions tentés de les rapporter à la même époque.

Supposons maintenant que ni le torse de Nectanebo ni les autres sculptures de ce temps ne nous aient été conservés, le témoignage seul de Platon, bien compris, suffirait pour nous donner l’assurance

  1. Hérod., II, 142.