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secret, mais direct, l’inoculateur de la plupart des esprits distingués de ce temps-ci en histoire, en méthode littéraire, en critique. D’autres ont eu la notoriété, l’apparence, l’éclat ; ils l’ont mérité et ils l’ont eu, je salue au front des talens la couronne. Lui modeste, tout entier aux choses, indifférent à l’effet, il a été (je suis obligé d’emprunter à la physiologie une image), il a été comme un organe profond intermédiaire entre des systèmes d’esprits différens. Pour qui veut étudier les origines du XIXe siècle dans toutes ses branches, et comme dans ses racines, il faut s’adresser de près à M. Fauriel. C’est ce que nous allons faire avec suite et avec profit, nous l’espérons. Lorsqu’on étudie des talens glorieux, brillans, on est volontiers ébloui ; on se trouve obligé, si l’on veut rester exact, de faire avec eux comme en physique avec les rayons qu’on dépouille d’abord de leur vivacité d’éclat pour mieux apprécier leurs autres propriétés, et l’on n’y réussit pas toujours. Ici on n’a rien à redouter d’un semblable prestige ; c’est le fond même, c’est la chose toute pure qu’on étudiera, et la valeur, la qualité de ce rare et fin esprit en ressortira non exagérée, mais bien entière.

Il est une disposition que la vue finale du XVIIIe siècle engendra en plus d’un jeune esprit, et qui avait été complètement étrangère à ce siècle lui-même, je veux dire l’impartialité, l’ouverture à tout comprendre, à ne rien sacrifier par passion dans les aspects différens de chaque objet. Pour se souvenir à quel point les érudits, à cette fin du siècle, en étaient loin, on n’a qu’à se rappeler Dupuis et Volney. Fréret, leur maître à tous, s’y rangeait mieux, ou il y avait en quelque sorte suppléé par la force d’un excellent esprit appliqué expressément à sa matière Cette disposition récente, résultat final de tant de spectacles contradictoires, et qui se traduisait en indifférence chez les témoins blases, méritait un noble nom chez les jeunes esprits curieux et désintéressés à la fois : elle mit tout d’abord son cachet à quelques essais distingués d’alors. L’impartialité fut une qualité essentielle, et principale chez M. Fauriel, et d’autant plus méritoire en lui qu’elle trouvait un fonds de convictions philosophiques et politiques antérieures, mais, à un si haut degré qu’il la possédât, seule elle ne suffirait pas pour expliquer et caractériser tout ce qu’il y eut de nouveau et d’inventif dans les points de vue auxquels une étude continuelle le porta successivement. Il faut donc admettre qu’il y eut en lui, comme en tout esprit inventeur, une initiative originale, un germe inné de génie historique et critique que développa une infatigable application, et que l’impartialité favorisa mais qu’elle n’eût point suscité. On en jugera d’ailleurs