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aussi de vous prier de dire à votre ministre quelques mots obligeans de ma part ? Je n’oublierai jamais la manière dont il s’est conduit pour moi. — Comment sont les ministres ensemble ? Je vous importune de questions, mais les solitaires sont très curieux ; et vous, quoique habitant de la ville, vous écrivez de longues et de jolies lettres.

« Agréez, monsieur, l’assurance des sentimens que je vous ai voués. »


Cette lettre ne nous indique que le premier degré d’une liaison qui Mme de Staël à Paris, et qui devint tout-à-fait de l’amitié. Les articles pour lesquels Mme de Staël remerciait Fauriel avec tant de grace étaient trois extraits, en effet très remarquables, publiés dans la Décade des 10, 20 et 30 prairial an VIII. Lorsqu’il y a une dizaine d’années j’écrivais dans cette Revue même sur Mme de Staël, j’avais rencontré en chemin ces trois extraits anonymes, et j’avais dû en rechercher curieusement l’auteur, car ils expriment des opinions et décèlent des résultats qui ne pouvaient alors appartenir qu’à très peu d’esprits en France. Ossian, Shakspeare, Homère, y sont présentés, en passant, sous un jour vrai et sans vague lueur ; on sent un esprit au courant de tous les systèmes et les jugeant sans s’y livrer ; on devine quelqu’un qui a lu Wolf et qui sait à quoi s’en tenir sur Ossian. Il n’y avait, encore une fois, qu’infiniment peu d’hommes en France capables à cette date de penser ainsi : il n’y en avait que trois tout au plus peut-être, Benjamin Constant, Charles de Villiers et Fauriel. Dans mon désir extrême de découvrir l’auteur anonyme de ces articles, je m’étais adressé à l’ancien rédacteur en chef de la Décade, alors encore existant, M. Amaury Duval, dont la mémoire ne put me fournir rien de précis[1]. Je cherchais bien loin celui qui était alors tout près de nous, et qui semblait avoir oublié ses premiers essais de jeunesse.

Les remarques du critique sont d’abord aussi justes que fines sur la littérature grecque, dont Mme de Staël traite avec étendue et soin, mais avec moins de connaissance immédiate qu’elle ne le fait pour les autres littératures. Il montre très bien qu’elle n’a pas résolu les problèmes qui se rapportent à la perfection de cette poésie merveilleuse et de cette langue déjà si magnifique à son berceau. Lorsqu’il arrive à l’époque de la décadence du monde antique et à l’invasion des barbares, il semble moins disposé qu’elle à faire exclusivement honneur au christianisme d’une certaine action civilisatrice et de résultats qui lui semblent, à lui, provenir de plusieurs causes combinées : on entrevoit

  1. Voir l’article sur Mme de Staël, Revue des Deux Mondes du 1er mai 1835 p. 91, et dans le volume des Portraits de Femmes (1844), p. 89.