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montrent combien il fut goûté d’une femme, la première de toutes en esprit et en bonté, de celle qui, selon une expression heureuse, sut avoir la supériorité si charmante. J’ai dit que la santé de Fauriel, un peu altérée par la fatigue de la vie administrative et par l’excès du travail, l’avait décidé à un voyage dans le Midi pendant l’été de 1801 ; il y accompagna son protecteur Français de Nantes, qui allait en tournée de conseiller d’état. Mme de Staël était repartie de bonne heure pour la Suisse cette même année ; elle comptait un peu y attirer le jeune voyageur qui passait à la frontière, et lui faire les honneurs de Coppet en causant avec lui de toutes choses. Fauriel lui avait écrit en route des lettres qu’elle n’avait pas toutes reçues. Elle lui répondait de ce ton d’exigence aimable qui est la flatterie du cœur, et avec cet attrait naissant de bienveillance qui jette comme des rayons dans les perspectives de l’amitié.


Coppet, ce 17 prairial (1801).

« Je n’ai point reçu votre lettre écrite sur le Rhône, et je la regrette ; il me semble qu’elle devait exprimer une douce disposition pour moi. Benjamin avait reçu une lettre de vous. Il vous a écrit à Aix ; j’ai mis un petit mot dans cette lettre-là. Je reçois votre lettre de Toulon ; elle est datée du 6. J’y réponds le jour même ; arrivera-t-elle à temps chez votre ami ? Cette incertitude me gêne. Est-ce à vous que je parle ? est-ce à je ne sais quel individu qui lira une fois cette lettre[1] ? Je trouve vos raisons bien mauvaises pour ne pas venir ici, ou plutôt je voudrais que rien ne pût vous en empêcher. Si vous ne venez pas, jamais au milieu de Paris nous n’aurons l’un pour l’autre la confiance qu’inspirent la solitude et les Alpes. Vous pourriez venir ici et rejoindre Français à Lyon. Enfin, vous le savez, les excuses ne sont bonnes que dans la proportion du désir ; et, quoi que vous me disiez, je croirai toujours qu’un mouvement de plus vous aurait conduit vers moi. — J’avais dit à mon père votre projet, et il se faisait plaisir de vous recevoir. Auguste vous appelle à grands cris. Négligerez-vous ces affections diverses qui, combinées ainsi, ne se retrouveront peut-être jamais ? Français n’est-il pas homme à comprendre qu’on peut venir voir M. N. (Necker) et sa fille ? Et s’il ne le comprenait pas, ne vous suffit-il pas de votre ministre, à qui je l’ai dit, et qui vous en estimera davantage ? J’insiste trop, car je me prépare une peine de plus, si vous ne venez pas, l’inutilité de mon insistance. — Je suis : bien aise que votre santé soit rétablie ; j’étais inquiète de vous la veille de votre départ, et j’ai été triste de votre silence. Vous vous étiez montré à moi

  1. Le secret des lettres était très peu respecté à cette époque, et l’on s’écrivait le plus souvent sous le couvert d’autres personnes ; d’ailleurs, Fauriel étant en voyage, Cette précaution devenait presque nécessaire.