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l’esprit humain irrité du retard eût très bien pu selon lui, sauter à pieds joints sur la Réformation pour arriver d’emblée en pleine philosophie. On voit Fauriel, dans cet article, attribuer à la Réformation beaucoup moins d’effets directs que Villers n’en suppose ; elle lui paraît avoir été le moyen et l’occasion, plutôt que le motif et la cause d’une grande partie du mouvement européen à cette époque ; son influence aurait surtout agi à titre d’auxiliaire.

Villers, malgré la part d’éloges qu’il recevait, ne se montra pas entièrement satisfait de l’article, et une discussion s’engagea entre les deux amis sur quelques endroits. Cette discussion, au reste, sort assez des mesquines tracasseries d’amour-propre, et porte assez sur le fond même des choses pour mériter de trouver place ici. Elle éclaire l’histoire intellectuelle du temps et découvre les points précis de division entre les esprits les plus avancés d’alors. Fauriel écrivit donc à Villers la lettre suivante :


« J’ai appris, mon cher Villers, que vous étiez mécontent, sinon de ce que j’ai dit de votre ouvrage, du moins de mes dispositions à votre égard. J’en ai été affligé et surpris. Il y a dans votre livre des choses très bonnes, très utiles, et qui doivent en faire aimer et estimer l’auteur ; je les ai louées sincèrement. J’ai cru y trouver aussi des inexactitudes de raisonnement et de fait ; j’en avais parlé avec modération, avec réserve, et j’aurais tâché, de continuer à en parler de même. Il est vrai que, comme plusieurs autres personnes qui d’ailleurs vous rendent justice, et dont le suffrage ne devrait pas vous être indifférent[1], j’ai été blessé de quelques traits d’une partialité qui me semble peu philosophique ; je m’en suis expliqué avec vous-même, avec une franchise qui, si j’en juge d’après ma manière de sentir, ne devrait être regardée que comme une marque d’estime. Si je trouvais votre projet de faire connaître en France tout ce qui tient à la littérature et au génie de l’Allemagne, moins intéressant et moins digne des travaux d’un homme de talent, zélé pour le progrès des lumières, je vous assure que j’aurais été beaucoup moins frappé de ce qui me paraît capable d’en diminuer l’intérêt et le succès. Si je n’avais eu ni estime ni amitié pour vous, j’aurais gardé froidement pour moi ou pour les autres ce que je vous ai dit à vous-même. Je n’ai voulu ni vous blesser ni vous déplaire, et si, contre mon intention, cela m’est arrivé, je vous en témoigne sincèrement mes regrets.

« Quoique pressé par d’autres travaux, j’avais commencé un deuxième extrait que M. Amaury Duval attendait probablement pour le prochain numéro de la Décade. Le ton de la critique y eût été plus prononcé que dans le premier ; mais il eût été également dicté par un sentiment dont j’étais loin de supposer que vous eussiez à vous plaindre. Puisque je me suis trompé, je

  1. Notamment M. de Tracy.