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peut acheter ni la moitié d’un perdreau ni le tiers d’une bécasse ; il lui faut soixante pièces pour soixante francs. Une telle question est du ressort de la théorie des nombres. Aryabhatta dans l’Inde et Bachet en France ont donné chacun la même méthode pour traiter tous les problèmes du même genre, qu’habituellement on résolvait autrefois par tâtonnement. Cette cuisinière n’a que deux manières de contenter sa maîtresse : ou elle doit acheter vingt-deux perdreaux, trois bécasses et trente-cinq mauviettes, ou bien huit perdreaux, douze bécasses et quarante mauviettes. Hors de là, ou elle n’aura pas soixante pièces ou elle dépensera plus ou moins de soixante francs.

Les problèmes de cette nature semblent, à raison de leur apparente facilité, offrir un attrait tout particulier, et Legendre a fait depuis long-temps cette remarque, que ceux qui s’appliquent à la théorie des nombres paraissent la cultiver avec une sorte de passion. On se tromperait cependant si l’on croyait que tous les problèmes qu’on sait résoudre à ce sujet peuvent s’énoncer d’une manière aussi simple et se réduire à des questions de pure curiosité. Les progrès que cette branche des mathématiques a faits de nos jours ont montré son intime liaison avec les branches les plus élevées de l’analyse.

Cependant, comme la théorie des nombres n’a offert, jusqu’à ces derniers temps, que peu de points de contact avec les autres parties des mathématiques, et qu’elle emprunte plutôt sa force à l’étude approfondie de propriétés difficiles qu’aux notations nouvelles, si utilement introduites dans l’analyse moderne, il ne faut pas s’étonner qu’un homme d’un génie supérieur, méditant sans cesse sur un tel sujet, ait pénétré en quelques points plus avant que ne l’ont fait ses successeurs. Nous savons que Fermat avait entrepris des ouvrages considérables sur diverses parties de l’analyse indéterminée, mais ces écrits ne sont pas arrivés jusqu’à nous, et tout ce qui nous reste de lui sur cette matière se réduit à peu près à des théorèmes qu’il avait découverts et qu’il a énoncés, sans les démontrer, dans ses lettres, et à quelques notes sur l’ouvrage de Diophante. Ces énoncés prouvent qu’il avait fait des découvertes très importantes dans l’analyse indéterminée, et comme depuis un siècle les géomètres les plus illustres ont cherché la démonstration de ces divers théorèmes, souvent sans pouvoir y parvenir, on peut juger par là de la grande difficulté de ces propositions et des progrès que Fermat avait faits. Ces théorèmes ont exercé successivement l’esprit d’Euler, de Lagrange, de Legendre, d’Abel et des plus célèbres mathématiciens de notre temps. Peu à peu et avec de grands efforts, on en a retrouvé les démonstrations ; mais