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point nier l’évidence et reconnaître à quelles doses les divers élémens se combinent. La poésie de Rückert me fait l’effet d’une ame en état d’éternelle métempsycose ; que son idéal absolu soit tout allemand, on peut le soutenir ; en attendant elle voyage du corps d’un sofi persan à celui d’un brahme indien, capable au besoin de s’incarner dans la peau d’un Chinois. Le dilettantisme du célèbre lyrique devait naturellement pousser à l’imitation étrangère, à cet esprit de littérature cosmopolite dont M. Menzel accusait si vertement Herder de s’être fait l’instigateur. Il n’entre point dans notre intention de nous prononcer ici sur le mouvement poétique en vigueur de l’autre côté du Rhin ; toujours est-il qu’on n’y saurait méconnaître certaines tendances révolutionnaires, certaines velléités d’empiétement qui, si elles n’ont point encore donné de bien glorieux résultats, n’en indiquent pas moins une situation nouvelle. « La littérature allemande contemporaine n’a point à rougir du contre-coup qui lui vient de France et d’Angleterre, » a dit M. Wienbarg, l’un des coryphées du jeune groupe. Jusqu’ici le contre-coup n’est guère sorti de la sphère des journaux où, du reste, la poésie semble de plus en plus vouloir s’emprisonner. Si nous avons bonne mémoire, sur la fin du XVIIIe siècle, les idées françaises eurent aussi leur contre-coup : ce Voltaire qu’on s’imagine avoir découvert pour les besoins du jour, ne laissa point alors que d’échauffer les jeunes têtes ; mais, tout en traduisant Mahomet, tout en méritant de la convention nationale le titre de citoyen français, on savait créer à sa manière, on cultivait le don de Dieu selon les lois climatériques, on s’informait sans être envahi. Aujourd’hui je vois une poésie s’abdiquant trop souvent elle-même en vue de je ne sais quel libéralisme abstrait, qui semble prendre à tâche de s’envelopper de ces mêmes nuages dont on prétend avoir dépouillé la Muse. Chez M. Freiligrath, en dehors de l’inspiration d’ailleurs distinguée de l’auteur d'une Profession de Foi, on ne saurait méconnaître l’influence dominante de Lamartine et de Victor Hugo. M. Herwegh, avec une persévérance qui ne se dément pas, continue à débiter contre le roi de Prusse toute sorte de philippiques dans le style de la Némésis ; et quant à M. Heine, les dernières boutades de cet aimable esprit affectent si ouvertement certaines préoccupations françaises, qu’on n’en saurait en conscience reporter le mérite à la littérature de son pays. Il y a quelques années, M. Gutzkow, ayant à rendre compte du Salon, petit livre de l’auteur des Reisebilder, renfermant, au dire du critique, plus d’un souvenir pour l’Allemagne, et pour la France plus d’un enseignement, M. Gutzkow prétendait