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anti-française, pour prévenir les défections imminentes, pour réparer autant que possible celles qu’il n’était plus temps de prévenir. Après avoir enchaîné l’Autriche par un subside déguisé sous forme d’emprunt, il signait avec elle et avec la Russie, à Saint-Pétersbourg, un traité qui résumait tous les traités séparés conclus antérieurement. Cependant, en Angleterre comme dans toute l’Europe, un sentiment de fatigue commençait à s’emparer de la plupart des esprits. Cette profonde terreur du jacobinisme, qui naguère faisait presque trouver légers les sacrifices demandés pour le combattre, s’était beaucoup affaiblie depuis que le sang avait cessé de couler à Paris, depuis qu’on y proclamait, d’une manière plus ou moins complète, la restauration des principes de l’ordre social. La convention ayant enfin déposé sa longue dictature, la France, régie, en vertu d’une nouvelle constitution, par un directoire exécutif et par deux conseils législatifs, parut être rentrée dans les conditions d’un gouvernement régulier, et le cabinet britannique, qui jusqu’alors s’était prévalu particulièrement du caractère révolutionnaire et provisoire du comité de salut public pour se refuser à traiter avec lui, vit disparaître ainsi son argument principal. La guerre devenait aussi impopulaire que l’avait été, deux ans auparavant, la pensée de reconnaître la convention. Les clubs, les assemblées publiques se prononçaient ouvertement pour la paix. La presse quotidienne presqu’entière, trop négligée peut-être par Pitt, reprochait vivement au ministère la prolongation des hostilités. Le conseil général de la Cité de Londres vota, à une grande majorité, une adresse au roi qui avait pour objet d’en hâter le terme, et plusieurs corporations municipales, celles d’York, de Hull, de Norwick, de Manchester, suivirent son exemple. Ce qui aggravait ces manifestations, c’est que deux mauvaises récoltes successives, en élevant extraordinairement le prix du blé, avaient jeté dans le peuple d’autres germes de mécontentement.

Le gouvernement crut devoir convoquer les chambres avant l’époque ordinaire. Le 29 octobre 1795, le roi ouvrit en personne la session annuelle. Il eut à traverser, pour se rendre au parlement, une foule immense dont les cris menaçans lui demandaient du pain, la paix et le renvoi du ministère. Un moment, la voiture royale fut séparée de son escorte par la multitude qui se pressait autour d’elle. Plus loin, un projectile, que l’on crut être une balle tirée par un fusil à vent, brisa une des glaces et atteignit presque le comte de Westmoreland, assis à côté du roi. Lorsqu’après avoir prononcé le discours du trône, George III, laissant là sa garde et son cortège, voulut regagner le