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des puissans ; c’était là, suivant lui, une vérité qu’il fallait avoir le courage de leur dire au lieu de les perdre en les flattant. Ces charges nouvelles furent acceptées sans difficulté.

Non content d’accumuler ainsi des forces et des ressources extraordinaires entre les mains des ministres, le parlement, qui déjà avait sacrifié aux exigences du moment les garanties de la liberté individuelle, crut devoir encore prendre de nouvelles précautions contre les abus de la presse. Il fut décidé, à la demande du procureur-général, que les principaux propriétaires et l’imprimeur de chaque journal devraient faire enregistrer leur nom et leur demeure au bureau du timbre, où un exemplaire de leur feuille serait chaque jour déposé. Cette innovation, fort raisonnable, dont le but était d’établir une responsabilité effective, fut cependant combattue par Tierney et par Sheridan, qui prétendit qu’aucune répression ne devait être exercée contre les écarts de la presse. Pitt et Windham firent bonne justice d’un tel paradoxe. Peu de temps auparavant, un journal de l’opposition, le Morninq Chronicle, ayant, dans un article écrit avec un injurieux dédain, qualifié la chambre des lords de chambre d’enregistrement, le propriétaire et l’imprimeur s’étaient vus mander à la barre, et, malgré leurs humbles supplications, avaient été condamnés chacun à trois mois de prison et à 50 livres sterling d’amende.

Les projets de la France restaient toujours enveloppés de mystère. L’armement considérable qui se préparait à Toulon avait bien éveillé quelques soupçons sur le but que le directoire avait en vue, mais ce n’étaient encore que de vagues conjectures. L’Angleterre, dans cette pénible incertitude, ne savait de quel côté diriger sa résistance. Ses escadres bloquaient les ports de France et d’Espagne pour s’opposer à la réunion des escadres de ces deux pays. En dépit de cette surveillance, la flotte de Toulon, escortant un immense convoi chargé de quarante mille soldats commandés par Bonaparte en personne, sortit du port le 19 mai 1798. Le 12 juin, son audacieux général s’emparait de Malte sans coup férir et abolissait la souveraineté de l’ordre. Le 2 juillet, il débarquait en Égypte, et vingt jours après il entrait au Caire, tandis que l’amiral Nelson, détaché à sa poursuite par lord Saint-Vincent, commandant des forces anglaises dans la Méditerranée, parcourait vainement les mers sans pouvoir trouver les traces des Français. Cette course inutile l’exposa alors à des épigrammes dont il devait bientôt tirer une terrible vengeance.

Sur ces entrefaites, l’attention du cabinet de Londres fut détournée un moment par une crise redoutable du théâtre où s’accomplissaient