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qu’ils portent et à leurs récentes victoires l’intérêt et l’admiration de l’Europe, c’est à notre auteur qu’ils devront d’être un peu connus pour ce qu’ils sont et aimés pour eux-mêmes. »

On voit que la jeune Grèce a bien encore quelque chose à faire pour justifier tant de gages. — L’ouvrage de Fauriel portait en lui toutes les raisons de survivre aux circonstances qui l’inspirèrent ; il restera comme le monument collectif, le plus fidèle et le plus classique, de âges poétiques sans nom, auxquels manquent, à proprement parler, les monumens. Il représente chez nous le dernier anneau d’une étude dont le Voyage d’Anacharsis forme le premier chaînon ; le rapprochement seul de ces deux extrêmes en dit assez, et peut servir à mesurer le chemin de la critique.

Cet épisode terminé, auquel il s’était mis tout entier d’esprit et d’affection, il semblait que Fauriel n’eût rien de plus pressant à faire qu’à vaquer à la confection et à la publication de son grand ouvrage historique qui devait, avant cette interruption, être déjà fort avancé. Ses meilleurs amis et les plus initiés à ses projets, Augustin Thierry, Manzoni, M. Guizot, ne cessaient de l’y exciter vivement. Dans un séjour que faisait Augustin Thierry à Paray[1], pendant l’automne de 1821, M. de Tracy lui demandait sans cesse si Fauriel faisait son histoire. — « Oui, il la fait, répondait Thierry. — Ainsi il rédige ? — Oui, il rédige. » - « Avancez, pour Dieu ! avancez, ne fût-ce que pour que je ne mente pas, écrivait Thierry à son cher confrère en histoire, comme il se plaisait à l’appeler ; tâchez de vous bien porter et de faire hardiment. — Travaillez, travaillons tous, ajoutait-il avec ce noble feu qui alors s’animait aussi du sentiment de la chose publique, et faisons voir aux sots que nous ne sommes pas de leur bande, among them, but not of them[2]. » - « Enfin, écrivait-on de plus d’un côté à Fauriel, enfin nous vous lirons, nous aurons la consolation de voir une sagacité et une patience, une vue perçante et une défiance comme la vôtre, appliquées à un sujet si intéressant, si obscur, et, lors même que vous ne substitueriez qu’un doute raisonné à des assertions impatientantes d’assurance et de superficialité, on éprouvera le charme que font sentir les approches de la vérité. » Puis ceux qui le connaissaient le mieux et qui savaient le faible secret l’engageaient « à ne pas trop se chicaner lui-même, et à ne pas se régler dans sa recherche sans fin sur l’idéal d’une perfection inaccessible. » On l’avertissait

  1. Paray-le-Frésil, près Moulins.
  2. C’est le mot si fier de Byron dans Childe-Harold, chant III, stance 113.