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parait déjà sous le gouvernement de ce jeune roi, qui en avait assez, adopté d’abord les mœurs et l’esprit. Il est très remarquable de voir, chez M. Fauriel, à quel point, même après tant de recrues sauvages, après tant de mélanges qui avaient dû la dénaturer, l’Aquitaine absorbait encore aisément ses vainqueurs et les détournait vite à son usage ; on pouvait toujours en dire plus ou moins, sans trop parodier le mot : Groecia capta ferum victorem cepit. Nous n’essaierons pas un seul instant de suivre la fortune du beau pays à travers les complications misérables de l’anarchie carlovingienne ; cette anarchie pourtant la servait. Par leur position la plus éloignée du centre, les contrées du midi échappent de bonne heure à presque toute dépendance, et forment comme le nid le plus favorable à la naissante féodalité. En terminant son IVe volume et le IXe siècle, M. Fauriel a la satisfaction de laisser l’Aquitaine tout-à-fait émancipée et rentrée dans ses voies, ayant usé deux conquêtes, deux dynasties frankes, ayant sauvé jusque dans ses morcellemens une certaine unité morale, et prête enfin à se rajeunir au sein d’un ordre nouveau. C’eût été là l’objet d’une dernière œuvre historique qu’il se proposait de mener à terme, et dont l’inachèvement ne saurait trop se regretter.

L’analyse rapide qui précède donnerait une trop insuffisante idée du livre de M. Fauriel, si elle faisait croire qu’il se borne à retracer les destinées particulières de l’Aquitaine et de la Provence ; j’y ai dégagé ce milieu et comme dessiné ce courant, mais on le perd bien souvent dans la considération de l’ensemble. L’historien aime à déborder son cadre ; cette histoire du midi est, à vrai dire, l’histoire générale de la Gaule entière durant cinq siècles. Toutes les grandes questions de races,. d’institutions, de conflits entre les divers pouvoirs, y sont abordées ; les solutions, pour ne pas être toujours aussi tranchées ou tranchantes que dans d’autres écrits plus célèbres, n’en ont pas moins leur valeur bien originale. Il y a telle de ces analyses appliquées à des masses confuses de faits et d’évènemens qui est capitale pour l’intelligence des temps ; et, sans sortir de la dernière partie, qui traite de l’anarchie carlovingienne, je ne veux citer que l’explication donnée par l’historien de la bataille de Fontanet, entre les trois fils de Louis-le-Débonnaire. On croit, grace à lui, saisir le sens de cette horrible boucherie ; on comprend quelques-uns des motifs généraux qui ramassaient là, à un jour donné, tant de peuples ; on a enfin l'idéal d’une bataille, selon les idées des Franks, dans ce gigantesque duel d’une terrible simplicité. Il y aurait très peu à faire pour que ces pages de M. Fauriel, même au point de vue de l’art, fussent un tableau achevé,