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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/49

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comme à l’ordinaire, s’efforçait tout le long du chemin de le jeter par-dessus la haie, et en effet, au moment où ils arrivaient, le cheval jeta son cavalier par-dessus la haie. Le cavalier se releva, entra chez lui, et appelant ses domestiques, il ordonna au groom de tirer sur le cheval et de le tuer ; mais une vieille femme qui ; appartenait à la maison lui dit : « Ne tuez pas ce cheval, il y a peut-être quelque défaut dans la selle ; autrement, votre monture ne vous aurait pas porté sans accident pendant tant d’années. Ne tuez donc pas ce cheval sans examen, et laissez-nous plutôt regarder s’il n’y a pas quelque chose qui aille de travers. » On examina le dos du cheval avant de l’abattre, et l’on y trouva deux larges blessures, une de chaque côté. La vieille femme dit aussitôt : « Vous le voyez, vous auriez mal fait de tuer ce cheval ; lorsque la selle était bonne et que rien ne le blessait, il vous portait sans accident ; quelque défaut doit se trouver au coussin de la selle.

La chair de son clos est déchirée jusqu’à l’os. » En examinant la selle, on y découvrit deux gros clous qui avaient fait ces blessures. Au lieu de tuer le cheval, on arrangea la selle, et le cheval, au lieu de renverser le cavalier, le porta désormais sans accident, aussi loin qu’il le put et aussi long-temps que celui-ci vécut.

Et maintenant, Rébecca a souffert jusqu’à ce que sa chair eût été déchirée et l’os mis à nu ; mais à la fin elle a renversé le gentilhomme. Que les maîtres du sol s’entendent pour la guérison de ses blessures, pour redresser ce qui va de travers, pour réparer la selle, et ni eux ni Rébecca n’en souffriront à l’avenir.


Les gens du pays de Galles ne parlent pas toujours par apologues. Dans une de ces réunions dont le Times a publié en quelque sorte les procès-verbaux, un fermier s’écriait : « Le cœur du pays a été endurci par l’oppression. — Je consens, disait un autre, à être réduit à la pauvreté par la volonté de la Providence ; mais je ne veux pas que ce soit par l’injustice des hommes. — On demande, ajoutait un troisième, comment il faut s’y prendre pour saisir Rébecca. On ferait tout aussi bien de se demander d’abord qui elle est. Quelques-uns prétendent que Rébecca est la mère de tous les fermiers ; mais, pour dire la vérité, c’est la pauvreté qui est Rébecca (grands applaudissemens) ; et ce qui entretient Rébecca, ce sont les abus. »

Voilà les troubles du pays de Galles expliqués ; on comprend maintenant pourquoi Rébecca était un jour ici et là un autre, pourquoi le premier venu pouvait remplir ces fonctions redoutables et s’ériger en vengeur du peuple, pourquoi enfin, au lieu d’être un chef de bande ou de parti, une personne en un mot, Rébecca n’était que le symbole, la personnification des opprimés se levant en courroux, le jour où ils avaient assez de leur misère ; c’est la pauvreté qui était Rébecca.