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poète ne se montrera ni moins pittoresque ni moins énergique. Je n’en veux pour preuve que le morceau suivant que j’extrais du chant intitulé les Lutteurs. On sait que dans les campagnes bretonnes les luttes, comme les danses, sont restées l’accompagnement de toutes les fêtes paroissiales, appelées pardons. Après avoir décrit les luttes des adolescens, l’auteur arrive à la lutte principale, à celle qui aura pour prix un bélier noir et qui doit terminer la journée :

Tal-Huarn et Lan-Cador étaient là dans les rangs
Des luttes jusqu’alors témoins indifférens
On les vit d’un air grave entrer dans la prairie.
C’était des hommes francs, tels qu’en fait leur patrie.
Ils se prirent la main, en ennemis courtois,
Et firent tous les deux un grand signe de croix.

Debout, pied contre pied et tête contre tête,
Comme s’ils attendaient que leur ame fût prête,
Ils restèrent ainsi tellement engagés,
Qu’en deux blocs de granit on les eût dit changés.
Leur front tendu suait et montrait chaque veine ;
Leur poitrine avec bruit rejetait leur haleine ;
Tout leur corps travaillait, pareil à ces ressorts
Qui semblent pour s’user faire de longs efforts ;
Puis, afin d’en finir, sur la terre qui tremble,
L’un par l’autre emportés, ils bondissent ensemble ;
Mais, par un nœud de fer l’un à l’autre liés,
Toujours ils retombaient ensemble sur leurs pieds.
Le peuple hors de lui criait ; un large espace
S’ouvrait et tour à tour se fermait sur leur trace.
Et moi, poète errant, conduit à ces grands jeux,
Un frisson de plaisir courut dans mes cheveux.
Dans nos vergers bretons, sous nos chênes antiques,
C’était un souvenir des coutumes celtiques :
Déjà si j’aimais bien mon pays, dès ce jour
Je sentis dans mon cœur croître encor mon amour.

Cependant, par degrés, la nuit venait plus sombre,
Et l’on disait : « Assez ! » Alors, perdus dans l’ombre,
Épuisés, haletans, ne pouvant se dompter,
Les deux nobles lutteurs se mirent à chanter.

cador

« Quel homme êtes-vous donc ? Sur un roc solitaire,
Un chêne plus que vous ne tient pas à la terre :