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Voilà de belles rimes. Le skalde Égil de Skallagrimmson, auquel nous ne ferons compliment ni sur l’harmonie de son nom, ni sur la délicatesse de son oreille, rimait ainsi avant Hrosvita et Otfried ; il nous semble donc difficile de croire que la rime fût aussi hostile que le pense M. Duméril aux idiômes gothiques en général, puisqu’ils en abusaient si durement.

Pendant que la rime méridionale et ecclésisastique envahissait les idiômes du Nord, l’allitération païenne et septentrionale essayait d’entrer de force dans les idiômes du Midi, où elle ne pouvait pas se maintenir. Le plus curieux exemple de cet effort perdu est le poème allitéré d’un contemporain de Hrosvita, qui se nommait Hugues-le-Chauve (Hucbald[1]), qui vivait sous Charles-le-hauve, et qui se crut prédestiné à écrire un poème hexamètre latin « sur les gens chauves ;  » poème qui subsiste, et dont tous les mots commencent par la lettre C ou K.

Karmina, Klarisona (clarisonae ?) Kalvis Kantate, Kamenoe !

Nos savans bénédictins, peu versés dans les langues du Nord, n’ont pas donné, sur l’origine de cette fantaisie qui nous semble grotesque, les éclaircissemens nécessaires ; ils n’ont fait entrer en ligne de compte ni le nom du chauve Hugues, ni l’habitude septentrionale de l’allitération.

Du temps de Hrosvita, la poésie tudesque, sans renoncer à ses vieilles lois, était fort entamée par la rime et l’assonance ; il y avait long-temps que la poésie latine en vivait et que la prose romaine ne pouvait s’en passer : le biographe de Meinwerc nous a montré tout à l’heure l’amour de la rime poussé au point de rendre le sens de l’auteur indéchiffrable. A force de se reposer sur l’assonance symétrique des finales, l’oreille en devenait amoureuse jusqu’à préférer ce vain écho à tout sentiment et à toute idée. Les gens civilisés n’écrivaient plus en latin, en saxon, en bas-allemand, en anglo-saxon, en irlandais, que des parallélismes rimés, soit en vers, soit en prose ; et si la rime ne détrônait pas l’allitération, du moins elles partageaient comme sœurs le trône barbare. Hrosvita trouva dans cette situation la littérature de son pays. Elle ne changea rien à cette mode ; elle en effaça seulement la prétention, l’obscurité, l’entortillage, le jeu de mots, les défauts des esprits médiocres ; elle imprima à cette prose cadencée et rimée un caractère de gravité sentencieuse et tendre ; enfin elle écrivit,

  1. De bolen, « tanner, dépouiller, » et non de bold, hardi, comme on l’a cru. Les Anglais ont conservé bald, chauve.