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lui dit-elle quand il entra, que ce tonnerre m’a fait de bien ! » Puis, comme il essayait d’expliquer scientifiquement le dégagement d’électricité qui avait pu s’opérer : « Pédant, reprit-elle, je vous ai toujours pris pour un excellent homme, mais pour une intelligence bien bornée. » L’extase et l’inspiration recommençaient, la chambre s’emplissait d’un nuage de fumée, et la fureur de la reine de Tadmor contre l’Europe se faisait jour en torrens d’éloquence frénétique. « Les pensées, disait-elle, me viennent à l’esprit comme les bouffées de vent dans les cèdres. Quand cet ouragan a soufflé, je respire et je me sens heureuse. »

Les voyageurs européens, qui tous voulaient arriver jusqu’à elle, ne lui apportaient aucune joie, mais seulement une fatigue, tant elle disposait d’avance et avec peine les draperies et les prestiges sous lesquels il lui plaisait de se montrer. La plupart n’étaient pas reçus, et les Anglais surtout se formalisaient de ce qui leur semblait une dureté impardonnable ; elle admettait ceux dont la réputation, la plume ou le crédit pouvaient influer sur sa position personnelle et répandre en Europe le bruit de sa grandeur. Dans la mise en scène de l’introduction qui leur était réservée, elle remplaçait par le mystère et l’attente ce qui lui manquait du côté du luxe, et se posait comme Napoléon. Elle se montra polie et prévenante pour M. de Marcellus, qu’elle pénétra d’enthousiasme, pour le prince Puckler-Muskau, qu’elle jugea « frivole de pensée comme de style, » et pour M. de Lamartine, à qui elle ne pardonna pas d’avoir caressé sa levrette en lui parlant, et d’avoir frappé sur sa botte avec sa cravache pendant l’entretien qu’ils eurent ensemble. Tout le monde a lu les belles et trop indulgentes pages que M. de Lamartine lui a consacrées ; mais personne ne savait quel sentiment de profonde irritation les manières sans façon et aisées du gentilhomme français laissèrent chez l’orgueilleuse reine de Tadmor. Crime irrémissible, il l’avait traitée comme son égale. Elle le ménagea pourtant ; elle savait qu’il parlerait d’elle et que sa voix aurait du retentissement en Europe. Ennuyée un jour des questions allemandes que lui adressait le prince Puckler : « Prince, lui dit-elle, je crois que votre intelligence est dans les ténèbres ! »

Les années s’écoulaient, la constitution délabrée de lady Stanhope achevait de dépérir, et ses revenus de disparaître ; les pachas et les émirs la laissaient fort tranquille. Pour retrouver un peu d’agitation intellectuelle, il ne lui restait plus guère que son médecin à étourdir et ses domestiques à gronder. L’un d’eux, Italien subtil, lui offrit une heureuse occasion de se désennuyer. Il profita d’une mission qu’elle lui avait donnée auprès du pacha d’Acre pour capter la confiance de