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REVUE. — CHRONIQUE.


Leur temps viendra, leurs ailes seront fortes,
Leurs serres pousseront vigoureuses ;
Ils s’élèveront jusqu’à la hauteur de la nue,
Et d’un bec de fer ils briseront leurs chaînes.


REPRISE D’ORESTE AU THÉATRE-FRANÇAIS.


Mlle Rachel, le poète inspiré, et, il faut bien le dire, le seul vrai poète qu’ait produit jusqu’ici la réaction classique, vient de recomposer avec son ame, son imagination et sa beauté, un des types les plus éclatans de la scène grecque ; elle vient de nous rendre Électre, cette imprécation vivante, le pendant tragique d’Hermione. Malheureusement les plus grands acteurs ne peuvent puiser tous leurs effets dans leur seul talent. Le sculpteur n’a besoin, pour donner un corps à sa pensée, que d’un peu d’argile ou de marbre ; une toile de quelques pieds suffit au génie de Lesueur ou du Poussin ; il faut davantage à l’acteur : il lui faut l’aide et le concours d’un poète. Pour nous faire voir et nous faire entendre la plaintive et impitoyable Électre, Mlle Rachel n’avait de choix qu’entre deux pièces, lÉlectre de Crébillon et lOreste de Voltaire, deux poèmes diversement défectueux, et enveloppés depuis long-temps dans le linceul d’un oubli commun : non pas que ces deux ouvrages n’offrent d’incontestables beautés poétiques, mais ces beautés sont mitigées et refroidies dans l’un par les complications d’une double intrigue amoureuse, dans l’autre par la déclamation. Cependant, de ces deux pièces, notre grande tragédienne ne pouvait pas hésiter à préférer la seconde.

Plusieurs personnes auraient désiré lui voir faire un tout autre emploi de ses forces. C’était, en effet, une tâche des plus hasardeuses que d’entreprendre de ressusciter, après tant d’années, l’œuvre d’un poète sur le déclin, mal accueillie à sa naissance, relevée un peu plus tard, grace à d’habiles retouches et surtout grace à la popularité de l’auteur arrivée alors à son apogée, puis abandonnée peu après, faible, d’ailleurs, de composition et surtout de style, lente, décousue, sans fin, comme cet autre Oreste dont s’est moqué Juvénal, necdum finitus Orestes. On pouvait craindre que Mlle Rachel ne pliât sous un si lourd fardeau ; mais les difficultés sont souvent un attrait et un aiguillon. Mlle Rachel aurait cru manquer, en quelque sorte, à sa mission tragique, si elle n’avait pas pris possession de ce personnage qui, avec Oreste, semble résumer tout le sombre et fatal génie de la scène antique. Peut-être aussi, après avoir prêté tant de fois son ame et ses larmes aux plus fières comme aux plus touchantes héroïnes de Corneille et de Racine, aura-t-elle pensé qu’il était de son devoir et, pour ainsi dire, de la justice, d’étendre ses études et ses efforts aux ouvrages de l’autre membre, jusqu’ici un peu négligé par elle, de notre triumvirat tragique. Mlle Rachel, en effet,