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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/1090

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REVUE DES DEUX MONDES.

car cette fondation du digne précurseur de saint Vincent de Paul est le premier anneau qui rattache la civilisation ancienne à la civilisation moderne. Ainsi, dans tous les temps, païenne ou chrétienne, l’Italie a donné au monde de glorieux exemples et de grandes leçons.

Si la France n’a pas marché la première dans la route tracée par l’Italie, du moins on peut dire à sa gloire qu’elle n’est pas restée long-temps en arrière dans cette voie. Dans le XIe siècle, la ville de Montpellier vit s’élever un hospice pour les enfans abandonnés. On ne sait pas bien positivement à qui revient l’honneur de cette fondation, qui existait encore sous Louis XV. Les chanoines du Saint-Esprit, à Marseille, en 1188, fondaient un hospice semblable, exemple promptement suivi par Bordeaux, Aix et Toulon. En 1523, Lyon, sous la direction de son évêque, et par les soins d’une pieuse confrérie, ouvrait un Hôtel-Dieu pour recevoir les enfans abandonnés. À dater de cette époque, et pendant plus d’un siècle, aucune fondation particulière ne leur fut consacrée. Les lois, il est vrai, semblent, à plusieurs reprises, vouloir les prendre sous leur protection : ainsi, en 1542 et 1545, le parlement permet, par lettres patentes, de quêter pour eux comme on quêtait pour les orphelins et les enfans légitimes, en faveur desquels le roi Jean, Charles VII et François Ier avaient fondé des établissemens spéciaux. Ces adoucissemens révélaient plutôt l’étendue de leur misère qu’ils n’aidaient à la soulager, et les lois insuffisantes étaient, relativement au sort de ces infortunés, une lettre morte que ne vivifiait point l’esprit de charité.

Cet état de choses allait bientôt cesser. Vers la fin du règne de Louis XIII, une femme généreuse, dont l’histoire n’a pas conservé le nom, recueillit et éleva plusieurs enfans abandonnés. Elle demeurait près de Saint-Landry, dans la Cité, et sa maison fut nommée par le peuple : Maison de la Couche. Après sa mort, les servantes qu’elle avait prises pour l’aider continuèrent à recevoir les enfans qu’on y apportait ; mais, loin de donner à ces faibles créatures les soins nécessaires, ces misérables femmes en firent les victimes d’un exécrable commerce, et ceux qui ne périssaient pas entre leurs mains étaient publiquement achetés et vendus à vil prix dans les vues les plus criminelles.

Un homme vivait alors, dont le nom réveille dans tous les esprits le souvenir de la plus tendre charité et des vertus les plus sublimes. Vincent de Paul, pénétré d’épouvante et de douleur au récit de ce qui se faisait dans la Maison de la Couche, voulut s’assurer par ses yeux que ces bruits étaient fondés, et il acquit promptement la certitude qu’on n’avait rien exagéré. Tout le monde sait ce qu’il a fait, et, si nous le répétons après tant d’autres, c’est qu’il est impossible de s’occuper des enfans délaissés sans rappeler ce qu’ils doivent à leur plus ardent protecteur. Après avoir épuisé ses ressources personnelles pour arracher à la mort le plus grand nombre possible de ces infortunés, il résolut de faire un appel au cœur des femmes réunissant autour de lui toutes celles dont le rang, les richesses et les généreux sentimens pouvaient assurer le succès de sa pieuse entreprise,