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malade, il faut qu’elle le soigne, qu’elle subvienne à la dépense, qu’elle se refuse les douceurs, qu’elle épargne pour un autre. » Plus loin, c’est quelque propos, de mari en colère : « Qu’elle fende le bois, qu’elle file sa tâche, qu’elle balaie la maison, qu’on la rosse. » Tout à l’heure, Lucile nous retraçait les vices de la femme riche ; ici il met en saillie les vertus et la pénible condition des femmes pauvres. Les turpitudes de certains maris étaient également mises à nu, et Cipius, qui feignait de dormir pendant qu’un homme riche caressait sa moitié, attrapait son horion, tout comme ces misérables qui, surprenant un adultère chez eux, se, vengeaient du coupable en le forçant de se substituer à leur femme[1]. Tous ces témoignages de l’infamie des mœurs sont précieux à recueillir ; il fallait la puissance morale du christianisme pour balayer ces étables d’Augias.

La satire, telle que l’avait conçue Lucile, embrassait la vie sociale tout entière : les poètes eux-mêmes n’y étaient pas épargnés. Qui ne se souvient des vers de Boileau :

C’est ainsi que Lucile, appuyé de Lélie,
Fit justice en son temps des Cotins d’Italie.


Horace, bien des siècles auparavant, avait dit : « Répondez, grand connaisseur ; ne condamnez-vous rien dans le premier des poètes, dans Homère ? Lucile, qui vous paraît indulgent, ne trouve-t-il rien changer dans les tragédies d’Accius ? ne rit-il pas des vers, quelque trop familiers, d’Ennius ? et lorsqu’il parle de lui-même, il ne se donne pas pour cela comme supérieur à ceux qu’il critique. » Cette dernière phrase vient à propos pour nous attester la modestie du poète, car nous savons que tous ses prédécesseurs, depuis Ennius jusqu’à Térence, étaient déchirés dans ses vers, et Aulu-Gelle[2] ajoute même à cette occasion : « Il les effaça en les critiquant. ». On voit quelles furent l’autorité et la gloire de Lucile. Dans les fragmens des Satires, bien peu de traces subsistent de ces diatribes littéraires, et il ne s’est guère conservé qu’un trait contre les exordes embrouillés de Pacuve. Ailleurs on lit : « Cela vaut un peu mieux que du médiocre, c’est moins mauvais que du très mauvais. » Ne s’agit-il point de quelque livre contemporain ? Je ne serais pas éloigné non plus de soupçonner que, quand il parle « d’un rhabilleur achevé qui sait coudre le rapiéçage dans la perfection, » Lucile voulait parler d’un de ces faiseurs de centons,

  1. XXX, 19 ; édit. Corpet.
  2. Noct. Att., XVII, 21.