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bons compagnons, comme ils se nommaient. Pour eux, l’austérité républicaine serait un joug trop lourd, et ils aiment mieux la religion accommodante du pape Alexandre VI que la sévère doctrine de Savonarola. Les uns et les autres sont toujours près de courir aux armes, et ces sentimens opposés se résolvent en conspirations permanentes. Les agitations de la place publique, d’ailleurs, ont leur retentissement dans la famille, et les affections privées se ressentent des discordes civiles. C’est ce que l’auteur a montré dans quelques scènes, pas aussi bien qu’on le pourrait désirer cependant. Savonarola revit avec assez de grandeur dans le drame ; on le retrouve encore tel qu’il fut autrefois ; puissant la veille, le lendemain il est jeté dans les prisons pour être brûlé, et son courage ne faiblit pas. Par la torture, on veut lui arracher des aveux, on veut lui faire confesser qu’il a cherché à corrompre le peuple, et qu’il a blasphémé Dieu en attaquant Alexandre VI. Il avoue, il est vrai, parce que son corps est épuisé et faible ; mais il brave la persécution en démentant toujours les aveux menteurs qu’on lui a surpris. Et que se contente-t-il de dire alors :

« Ah ! qu’ai-je fait à ces Florentins pour qu’ils soient tous contre moi ? qu’a fait le pauvre frère prêchant l’amour de Jésus et la liberté fille de ses entrailles ? C’est ainsi qu’on me paie mes veilles et mes souffrances… Italie ! Italie !… que t’ai-je fait ? Je t’ai appelée à la pénitence au nom du Très-Haut ! j’ai étalé toutes tes plaies à tes regards, et tu n’as rien voulu croire !… »

A vrai dire, cependant, Savonarola n’est pas un personnage de drame. Une lecture recueillie, c’est ce qui convient à l’histoire singulière et terrible de l’agitateur de Florence. Les passions humaines ont trop peu de place dans son cœur ; il ne vit pas sur la terre, mais dans le ciel, toujours enivré de ses mystiques ardeurs : il diffère, en un mot, trop de nous-mêmes pour que nous puissions le voir avec intérêt agir et parler sur un théâtre, et, en cela, sans doute, M. Revere a été bien servi par l’impossibilité où il s’est trouvé d’écrire son ouvrage pour la scène.

Il n’en est pas de même de Lorenzino de Médicis. C’est là un sujet vraiment dramatique. Nous rattachions le nom de Lorenzo à celui de Savonarola, et en effet le premier tenta, par un meurtre, au commencement du XVIe siècle, de réveiller l’esprit républicain que le second avait fait triompher un instant, quelques années avant lui. Dernier et inutile effort pour la liberté de Florence ! Déjà la fière république était morte : elle allait se transformer en petit duché et s’endormir obscurément sous un sceptre vulgaire. Qui ne connaît l’histoire de Lorenzino, de ce Brutus moderne, qui contient sa haine, nourrit dans le silence ses rêves patriotiques, cache ses desseins sous l’apparence de la poltronnerie et de l’indifférence, se fait le familier du duc Alexandre, partage ses débauches, se souille avec lui jusqu’au jour où, l’attirant chez Catherine Ginori, il lui enfonce un poignard dans le cœur ? Il faut joindre à ceci, pour composer le drame, toutes les passions qui s’éveillent et s’agitent, les victimes qui tombent chaque soir dans Florence, les bannis qui réclament une patrie, les mères qui vont à la recherche de leurs