tendais à une explication délicate ; déjà j’avais la main sur le pied d’un des tabourets, et je syllogismes à part moi pour deviner le moment précis où il conviendrait de le jeter à la tête de l’intrus. Celui-ci repoussa rudement la bohémienne, et s’avança vers moi ; puis, reculant d’un pas :
— Ah ! monsieur, dit-il, c’est vous !
Je le regardai à mon tour, et reconnus mon ami don José. En ce moment, je regrettais un peu de ne pas l’avoir laissé prendre.
— Eh ! c’est vous, mon brave ! m’écriai-je en riant le moins jaune que je pus ; vous avez interrompu mademoiselle au moment où elle m’annonçait des choses bien intéressantes.
— Toujours la même ! Ça finira, disait-il entre ses dents, attachant sur elle un regard farouche.
Cependant la bohémienne continuait à lui parler dans sa langue. Elle s’animait par degrés. Son œil s’injectait de sang et devenait terrible, ses traits se contractaient, elle frappait du pied. Il me sembla qu’elle le pressait vivement de faire quelque chose à quoi il montrait de l’hésitation. Ce que c’était, je croyais ne le comprendre que trop à la voir passer et repasser rapidement sa petite main sous son menton. J’étais tenté de croire qu’il s’agissait d’une gorge à couper, et j’avais quelques soupçons que cette gorge ne fût la mienne.
À tout ce torrent d’éloquence, don José ne répondit que par quelques mots prononcés d’un ton bref. Alors la bohémienne lui lança un regard de profond mépris ; puis, s’asseyant à la turque dans un coin de la chambre, elle choisit une orange, la pela et se mit à la manger.
Don José me prit le bras, ouvrit la porte et me conduisit dans la rue. Nous fimes environ deux cents pas dans le plus profond silence. Puis, étendant la main :
— Toujours tout droit, dit-il, et vous trouverez le pont. Aussitôt il me tourna le dos et s’éloigna rapidement. Je revins à mon auberge un peu penaud et d’assez mauvaise humeur. Le pire fut qu’en me déshabillant je m’aperçus que ma montre me manquait.
Diverses considérations m’empêchèrent d’aller la réclamer le lendemain, ou de solliciter M. le corrégidor de vouloir bien la faire chercher. Je terminai mon travail sur le manuscrit des dominicains et je partis pour Séville. Après plusieurs mois de courses errantes en Andalousie, je voulus retourner à Madrid, et il me fallut repasser par Cordoue. Je n’avais pas l’intention d’y faire un long séjour, car j’avais pris en grippe cette belle ville et les baigneuses du Guadalquivir. Cependant quelques amis à revoir, quelques commissions à faire devaient me retenir au moins trois ou quatre jours dans l’antique capitale des princes musulmans.