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confondre les hallucinations de la folie avec les visions racontées par l’histoire profane, et ces dernières avec les apparitions de l’Écriture sainte, l’auteur établit des différences arbitraires qui ne nous semblent motivées que par les besoins de sa conscience. Sans doute l’hallucination a pu agir d’une manière très variée, elle a revêtu différentes formes et donné des impulsions souvent contraires, suivant les circonstances où elle s’exerçait ; mais, quant au fait, il est et demeure rigoureusement le même, c’est-à-dire un phénomène naturel très voisin de la folie, et qui y tombe même nécessairement sans entraîner toujours l’intelligence.

Ce ne sont pas seulement les hommes de génie qu’il convient de ranger dans la classe des hallucinés, ce sont aussi quelquefois les grands criminels. Nous mettons ici le pied sur un terrain délicat, sur une question médico-légale qui intéresse l’histoire et la société. Il arrive journellement que des esprits illusionnés donnent aux actes ou aux personnes qu’ils ont sous leurs yeux la figure des monstres qui sont dans leur cerveau. Un homme, se trouvant dans une diligence, entre deux voyageurs qui se passaient de temps en temps une tabatière, s’imagine voir entre leurs mains une boîte de poudre vénéneuse dont ils veulent lui faire respirer l’essence ; ému par le sentiment de sa propre conservation, il se jette sur ces deux infortunés, et les tue à coups de couteau Nous avons rencontré ce fou à Bicêtre, dans la division de M. Voisin ; il se croit maintenant le verbe de Dieu. Comme nous lui reprochions le meurtre des deux voyageurs : « Je ne les ai pas tués, nous a-t-il répondu, je les ai seulement chagrinés ; le monde saura d’ailleurs un jour ce que j’en ai fait. » De tels êtres sont trop dangereux pour qu’on les rende jamais à la société.

Il y a d’autres cas où les hallucinés sont poussés à commettre des actions monstrueuses par une force irrésistible. Une mère regarde dormir son enfant dans un berceau ; elle le contemple avec une joie et une tendresse infinies ; tout à coup passe comme un éclair au milieu de la sérénité de son ame cette idée étrange : si je le tuais ! La mère écarte avec horreur cette image abominable ; elle aime son enfant, elle est prête à donner sa vie pour lui épargner une larme et pour le sauver d’un danger. Cependant l’idée chassée ne se tient point pour battue ; elle profite du trouble même qu’elle a causé pour revenir à la charge ; elle assiége le cerveau de cette pauvre femme par tous les côtés faibles, elle prend un corps, une voix ; elle lui crie aux oreilles : « Il faut tuer ton enfant ! il faut tuer ton enfant, ! » La malheureuse repousse cette voix comme elle a éloigne l’idée, mais plus faiblement. Une nuit, au