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et l’artisan qui fait des vers ou de la prose a le droit d’être jugé avec la même sévérité qu’un roi.

Publiées par M. Dickens dans des intentions charitables et par conséquent dignes de respect, les Soirées d’un Ouvrier, occupations d’un petit nombre de loisirs, par Jean Overs, charpentier, sont des fragmens assez modestes, sans colère contre le monde et les puissans, mais sans hardiesse et sans nouveauté. Il n’y a rien de plus rare que l’originalité réelle de l’esprit, jointe à la pratique constante des arts mécaniques ; le développement naïf de l’individualité personnelle demande un repos, un isolement, une concentration de la pensée qui se replie sur elle-même et s’éloigne de tous les intérêts matériels et humains. La Muse est jalouse ; elle n’accorde ce dernier et puissant don, cette consécration du talent supérieur, qu’à ceux qui vivent pour elle seule, à Shakspeare et à Dante. Les Souvenirs et les Vers d’un Tisserand[1] ne peuvent pas non plus se vanter de ce mérite ; mais ils contiennent des détails intéressans sur la vie intérieure des artisans, et sur le progrès secret et redoutable de cette fureur antisociale éclose de leurs souffrances. Nous ne citons que pour mémoire le poème d’un matelot nommé Léonard Addison, et qui n’a pas craint de traiter le plus grand sujet possible, la création. Il est vrai qu’il a donné à son poème un titre burlesque : l’Homme locataire (tenant) de la Création.

Il convient de parler avec plus d’estime et de respect de deux excellens petits volumes publiés par le libraire Pickering, dont les éditions aldines ont tant de succès ; l’un a pour titre : Essais écrits dans les intervalles de mon travail ; l’autre : les Droits du Labeur, ou des rapports entre le maître et l’ouvrier. Il est difficile d’unir plus de bienveillance à plus de sagacité ; c’est de la prose, mais bien autrement touchante dans sa simplicité pittoresque et sa douce austérité que les strophes harmonieuses et diffuses de mistriss Norton ou les colossales images du chartiste. L’auteur avoue que l’extension de l’industrie et du commerce, l’exploitation habile et victorieuse de la matière et de la nature, ont affaibli le sentiment sympathique et le lien moral, sans lesquels la société ne peut subsister. Il reconnaît que les individualités triomphent, et que leur règne isolé, s’appuyant sur l’intérêt particulier, peut et doit mettre en danger la communauté elle-même. Aussi, est-ce aux individualités qu’il s’adresse ; c’est elles qu’il rend responsables de l’avenir, bien persuadé que les meilleures lois organisatrices

  1. Rhymes and Recollections of a hand-loom weaver, by Thom.