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regrettait d’avoir fait tant de concessions à la ligue, et avait pris la résolution b ! en formelle de ne plus avancer d’un seul pas dans la voie libérale. Au milieu de ces versions diverses, le parti agricole l’inquiétait sérieusement, et partout, au milieu de ses meetings, retentissaient les récriminations les plus amères contre sir Robert Peel. « Le premier ministre qui, après s’être servi de nous, nous a trahis une première fois, va peut-être essayer de nous trahir une seconde ; mais il ne nous trouvera plus si aveugles ni si dociles… L’intérêt agricole l’a porté au pouvoir ; l’intérêt agricole saura bien l’en précipiter, si cela est nécessaire. Il faut donc que sir Robert Peel s’explique nettement, il faut qu’il dise s’il veut encore mériter les éloges de M. Cobden à nos dépens. » Tel était le langage de quelques hommes considérables, du duc de Richmond notamment, qui s’était placé à la tête de cette curieuse croisade.

On comprend que les embarras du procès irlandais d’une part ; et de l’autre le mécontentement du parti agricole, dussent encourager singulièrement l’opposition whig radicale et lui donner grand espoir. Aussi, en attendant la session, les journaux ne cessaient-ils de relever soigneusement toutes les injures adressées par les tories à sir Robert Peel, et de représenter ce ministre comme une puissance déchue. « Y a-t-il quelqu’un encore, s’écriaient-ils, qui se fie à sir Robert Peel, le trompeur général ?… Sir Robert Peel a constitué un grand parti dans l’opposition, afin de se soutenir au pouvoir en le livrant en détail… On sait l’histoire de cet Irlandais à qui on reprochait de trahir son pays. « Je remercie le ciel, répondit-il, d’avoir un pays à trahir. » Sir Robert remercie le ciel d’avoir une majorité à livrer… Il est comme cette dame de la tour de Nesle, qui jetait chaque matin un de ses amans par la fenêtre. Grace à lui, le parti tory ressemble à un équipage affamé qui s’entre-dévore, ou bien à cette hyène qui dînait de sa propre jambe….Les principes de sir Robert Peel sont une monnaie qu’il dépense selon le besoin du moment. Tout ce qu’il désire, c’est d’avoir en poche un principe à l’aide duquel il apaise une demande importune. » Et pendant que les feuilles whigs-radicales parlaient ainsi, la plupart des feuilles tories, de leur côté, déploraient en termes violens le suicide du parti conservateur et la trahison de son chef. Tout annonçait donc que le début de la session serait très laborieux, très difficile pour le cabinet, et qu’un grand danger le menaçait.

Au lieu de cela, tout se passa le plus régulièrement, le plus paisiblement du monde. Après un discours du trône fort insignifiant, sir Robert Peel déclara en quelques paroles qu’il ne songeait pas à modifier