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séparation absolue et l’égalité complète, l’égalité politique, civile et religieuse ? N’est-ce pas le moment de faire ainsi appel à tous les sentimens libéraux, honnêtes, vraiment patriotiques, des trois royaumes, et de mettre la guerre civile, si elle éclate, à la charge de ceux qui auront refusé justice ? Tout annonce qu’indépendamment des radicaux et des whigs, un tel langage rallierait aujourd’hui beaucoup de tories modérés. Tout annonce que, d’accord avec les membres irlandais, on parviendrait à former un parti qui, très sincèrement et très énergiquement, travaillerait à guérir les maux de l’Irlande.

Malheureusement il est à craindre que telle ne soit pas la conduite d’O’Connell. Il a, depuis deux ans, dit bien des paroles qui le compromettent, pris bien des engagemens qui le lient, et les discours qu’il prononçait ces jours derniers dans les comtés de Tipperary, de Kerry, de Mayo, sont purement et simplement la répétition de ses anciens discours. Au meeting de Mayo, il a pourtant trouvé, pour défendre le rappel, un argument tout nouveau : c’est que le rappel affranchirait la reine, honteusement opprimée par l’oligarchie parlementaire. Qu’il y ait deux parlemens au lieu d’un, et, en se servant de l’un pour battre l’autre, il sera aisé à la reine de recouvrer son pouvoir. Pendant que le rappel est si bien défendu, les respectables évêques qui croient devoir accepter les nouveaux collèges sont plus que jamais exposés à tous les outrages, à toutes les calomnies, à toutes les violences. Ne vaudrait-il pas cent fois mieux d’une part reconnaître l’esprit bienveillant des dernières mesures de l’autre présenter le rappel comme un moyen extrême, comme un moyen, auquel l’Irlande n’aura recours que si justice lui est refusée ? On offrirait ainsi de bonne grace à l’Angleterre une alternative qui est au fond des choses, et dont toutes les harangues du monde ne sauraient la priver.

Au surplus, si les journaux anglais ne se trompent pas, un terrible évènement se prépare, auprès duquel l’agitation du rappel et l’agitation orangiste tomberont bientôt dans l’ombre et dans l’oubli. Cet évènement, c’est la maladie des pommes de terre dans un pays où la pomme de terre est la seule nourriture du peuple ; c’est la famine. En présence d’un tel fléau, l’esprit se trouble, l’imagination s’égare, la prévoyance humaine s’anéantit. Avec une bonne récolte, l’Irlande parvient à peine à nourrir ses habitans. Avec une récolte médiocre, ils souffrent et meurent par milliers. Que serait-ce si, comme on le craint, la récolte était à moitié perdue ? Il est douteux que, dans ce cas, la charité publique et la charité privée y pussent suffire. Il est douteux, réunit-on les sommes nécessaires pour le payer et le distribuer