Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/488

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un simple choix, tâchant de le rendre le plus agréable qu’il était possible à la lecture, et aussi de le rapporter à une idée d’étude et d’analyse. Il nous a semblé que, sans faire violence à la lettre et à l’esprit de ces documens, il n’était pas difficile d’y surprendre, d’y noter déjà dons leurs origines et leurs principes la plupart des misères, des contradictions et des défaillances qui n’avaient que trop éclaté plus tard, au su et vu de tous, dans cette fine nature. Nous avons, dans ce but, comme souligné ou articulé plus fortement au passage les endroits qui nous semblaient tenir à quelque veine secrète, faisant exactement ce qu’on pratique en anatomie, lorsqu’on injecte quelque petit vaisseau pour le rendre plus saillant et le soumettre à l’étude. Nous sommes-nous complètement trompé, comme le veut M. de Loménie ? A côté des choses aimables et que nous donnions pour telles, avons-nous pris pour de la sécheresse ce qui était de la passion, pour du persiflage ce qui n’était que de la jeune gaieté, pour des habitudes plus que périlleuses, ce qui n’était que d’heureux instincts ? Avons-nous, en réussissant trop bien à rendre le choix des lettres agréable, fait ressortir encore mieux cet agrément par nos commentaires maussades et jansénistes, c’est tout dire ? Enfin avons-nous fait (ce qui est l’histoire de tant d’éditeurs) comme cet âne de la fable, qui porte des roses au marché et qui n’en mange pas ?

Pour ne pas nous perdre ici en des apologies de détail dont le lecteur n’a que faire, nous poserons tout d’abord un principe, et ce principe est celui-ci :

Il faut avoir l’esprit de son âge, dit-on ; cela est vrai en avançant ; mais surtout et d’abord il faut en avoir la vertu : des mœurs et de la pudeur dans l’enfance, de la chevalerie, de la chaleur de conviction et de la générosité de pensée dans la jeunesse. La vie, en allant, se gâte assez. L’âge mûr, trop souvent, hélas ! n’a plus cette chevalerie et cette première fleur d’honneur, de même que la jeunesse avait foulé elle-même cette première fleur de pudeur. Si l’on commençait par une enfance ou une adolescence souillée, par une jeunesse égoïste ou trop sceptique et ironique, et faisant bon marché de tout, où n’irait-on pas ? et lorsqu’on voudrait ensuite réparer et se reprendre aux nobles idées, aux sentimens vrais, le pourrait-on ? — C’est en ce sens que Buffon disait : « Je n’estimerais pas un jeune homme qui n’aurait point commencé par l’amour. »

Quelqu’un de très spirituel l’a dit encore : on doit faire dans la vie comme pour un voyage ; il faut toujours se mettre en route avec trop de provisions, au moral aussi ; on ne saurait être trop en fonds au