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dilettante, qui donne des leçons à ses architectes, des conseils à Meyerbeer, des inspirations à Cornélius, est en même temps un érudit, un philosophe, un théologien : On assure qu’il lit Platon et Aristophane dans leur belle langue ; il suit sans peine M. de Schelling dans ses spéculations mystiques, et, s’il faut traiter un point de théologie, il cite les Pères, il cite Luther et Melanchton, comme feraient M. Hengstemberg ou M. Tholuck. C’est dans les questions politiques, c’est dans la pratique des affaires qu’il est moins sûr de sa pensée. Il saura enthousiasmer Tieck et Cornélius, Meyerbeer et Schelling ; ses ministres seront moins contens de lui et le quitteront l’un après l’autre. En réunissant à Berlin cette illustre assemblée de poètes et de peintres, d’artistes et de philosophes, il a obéi à ses nobles instincts, à ses délicates sympathies pour toutes les distinctions de la pensée ; toutefois cet entourage glorieux et si conforme à ses goûts sert en même temps sa politique ; on ne saurait accuser de tendances illibérales un souverain absolu qui introduit à sa cour le droit démocratique du talent. D’ailleurs, bien qu’il appartienne, nous l’avons dit, à ce qu’on nomme le parti historique ; bien qu’il se serve de M. de Schelling contre les hégéliens, de M. Eichhorn et de M. de Savigny contre les rationalistes ; bien que la direction un peu mystique de sa pensée l’ait rendu favorable aux piétistes, il est loyal, sincère, impétueux ; il voudrait convaincre au lieu de régner. Les rois règnent ; lui, il parle ; il fait de longs discours, il engage des controverses sur les plus graves sujets, se fiant à la facilité brillante de son esprit et à la générosité de ses intentions. Il lui est arrivé plus d’une fois, m’assure-t-on, d’écrire de sa main à des journalistes qui attaquaient sa politique et de les réfuter dans le meilleur style. Il discutait, il y a quatre ans, la question constitutionnelle avec les états provinciaux de Posen ; il a débattu hier un point de théologie avec la municipalité de Berlin ; ce n’est pas la dernière thèse qu’il soutiendra. C’est un roi très allemand. Cependant nos voisins deviennent moins Allemands chaque jour, je veux dire moins naïfs, moins confians, plus difficiles à conduire : or, un roi qui parle si volontiers ne donne-t-il pas des armes contre lui ? J’entrevois donc ici deux chances contraires : d’un côté les dispositions fort équivoques du roi, de l’autre les encouragemens qu’il donnera, sans y songer, au parti qu’il veut contenir.

Il est certain, en effet, que Frédéric-Guillaume est peu disposé à établir dans ses états une constitution vraiment sérieuse. Le rêve de l’école historique, c’est d’organiser l’édifice de telle façon, que les différentes époques du passé, depuis Arminius jusqu’à Frédéric Barberousse,