Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre l’état. Cette fusion, si monstrueuse en réalité, ne surprit personne. Les plus défians savaient gré au clergé belge d’avoir si franchement répudié toute solidarités politique avec le clergé français de la restauration, et les enthousiastes s’en allaient répétant « que l’église remontait à son origine, que le prêtre était redevenu l’apôtre de la liberté. » Ces illusions, si favorables au clergé flamand, qu’elles absolvaient de huit siècles d’intolérance et d’empiétemens, trouveraient aujourd’hui plus d’un incrédule ; mais elles avaient alors tout l’attrait de la nouveauté, elles s’autorisaient, pour la jeune Belgique, des doctrines catholico-républicaines bruyamment prêchées en France par deux prêtres, MM. de Lamennais et Lacordaire, dont l’ultramontanisme belge se faisait habilement l’écho dans ses journaux, dans ses chaires, et jusque dans ses mandemens.

Hormis la république, le suffrage universel et l’abaissement du cens sénatorial au-dessous de 1,000 florins, tous les vœux du clergé (on les nommait encore des concessions et des avances) furent bien accueillis. La coalition clérico-radicale emporta d’assaut la liberté, sans garanties et sans contrôle, d’association et d’enseignement, la liberté presque absolue de la presse, la liberté de conscience avec cette clause significative, que « l’état n’avait pas le droit d’intervenir, soit dans la nomination, soit dans l’installation des ministres du culte, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes » Le sénat fut déclare éligible, le cens d’éligibilité fut aboli pour la chambre des représentans. Les patentes furent intégralement comprises dans le cens des électeurs, et, comme il n’y avait plus dès-lors équilibre entre la propriété souvent fictive qu’elles représentent et la propriété foncière, il fallut donner aux campagnes un cens très inférieur à celui des villes, concession énorme, car elle assurait la prépondérance numérique de cette classe d’électeurs sur qui le clergé exerce une action immédiate, exclusive, la classe des paysans en un mot. Les dispositions provisoires qui régirent le mode d’élection au congrès national avaient déjà admis ce principe, ce qui achève d’expliquer l’influence obtenue d’emblée par la coalition clérico-radicale et l’inaction forcée du groupe gouvernemental.

Les membres de cette minorité ne persistèrent pas d’ailleurs dans leur opposition. Les uns, tels que MM. Lebeau, Devaux et Rogier, sacrifiant leurs convictions, soit au désir de rester possibles avec une majorité cléricale, soit au besoin d’union qu’imposaient aux partis les dangers dont un ennemi armé et une diplomatie jalouse menaçaient simultanément la nationalité naissante, se résignèrent à subir, à encourager