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Colobrières n’avait vu de si magnifiques chiffons : il y avait des fichus de cambrasine de Smyrne et de satin des Indes brodés de fleurs, de papillons et d’oiseaux ; il y avait des rubans de toutes couleurs lamés d’or et d’argent. La petite fille faisait des cris de joie en voyant toutes ces belles choses ; Agathe les considérait d’un regard ébloui et gardait le silence : elle était un peu embarrassée de déclarer que tout cela était trop beau pour elle. Le marchand ne devina pas apparemment le motif de ce silence et de cette hésitation, car il dit en repoussant ses cartons ouverts : — J’ai peut-être quelque chose de mieux encore.

— Ne cherchez plus, ce n’est pas la peine, répondit Agathe avec un soupir et en tirant du fond de sa poche la petite bourse ; je voudrais seulement un fichu bien simple, quelque chose d’uni et à bon marché. Tout ce que vous me montrez là est trop élégant.

— Il ne peut rien y avoir au contraire d’assez élégant pour vous, madame la baronne, répliqua poliment le marchand.

— Je ne suis point Mlle de Colobrières, répondit Agathe en rougissant ; je suis sa belle-sœur. Il ne serait pas séant à une demoiselle de porter des parures si riches.

— Oh ! Ma tante, rien qu’une fois faites-vous belle ! s’écria naïvement la petite fille ; cela ne vous est jamais arrivé, ni à nous autres non plus.

— Quand on demeure toute l’année à la campagne, on n’a pas besoin de toutes ces parures, interrompit Mlle de Colobrières en se hâtant de couper court aux observations de l’enfant ; mais l’obstinée petite fille, excitée par la vue de toutes les belles choses que le marchand continuait à déployer sous ses yeux, s’écria avec volubilité :

— Nous aurions bien besoin d’acheter tout cela, au contraire ; alors Nanon, la fille du gabelou, ne ferait plus tant la fière à la messe, quand elle passe devant notre banc avec sa robe de siamoise et sa coiffe à papillon. Nous serions vêtues de neuf comme elle, tandis qu’il faut rapiécer tous les samedis nos habits du dimanche.

Un sentiment d’orgueil puéril et naïf fit monter la rougeur au front d’Agathe, elle imposa silence à la petite fille d’un air confus ; mais, surmontant presque aussitôt cette impression, elle repoussa d’une main les cartons de soieries, jeta de l’autre sa légère bourse sur la table, et dit d’un air de dignité triste :

— Nous ne sommes pas riches ; voilà tout ce que je peux dépenser aujourd’hui.

— N’importe, mademoiselle, répondit vivement le marchand ;