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qui ne renverse pas même le ministère nouveau du jeune Pitt. Ces deux incidens gigantesques, la révolte des États-Unis et le procès d’Hastings sont aujourd’hui tombés en cendres ; il n’en reste que l’éloquence de Burke, mais quelle éloquence ! Le premier jour où Warren Hastings, sous les voûtes de Westminster, entendit Burke ouvrir l’accusation, il écrivit à l’un de ses amis : « Pendant la première demi-heure, je restai stupéfait, bouche béante, et l’œil fixé sur l’orateur, me demandant si je n’étais pas un monstre ; je croyais rêver. Enfin, je descendis au fond de ma conscience, et je me trouvai absous. » La conscience de l’homme politique et celle du casuiste ont bien des replis et des détours.

Les discours de Burke contre Warren Hastings et ses travaux parlementaires sur les affaires de l’Inde, qui ne remplissent pas moins de deux volumes in-octavo, ont été fort admirés. Ils nous semblent porter les marques, non d’un progrès, mais d’une première tache annonçant la future décadence ; c’est là que se trahissent pour la première fois les excès de ce grand talent, les métaphores outrées, l’énergie poussée jusqu’à la violence, la colère jusqu’à la fureur, la pompe jusqu’à l’abus des décorations. Mais aussi que de ressources ! quelle rapidité et quelle variété ! Quel inépuisable torrent de raisonnemens et d’images accumulés en faveur du droit et de la justice ! Dans son ardeur, il ne ménage rien, pas même les préjugés commerciaux de ses concitoyens. L’ironie, le sarcasme, le mépris, tombent à flots amers sur ces conquérans du négoce.


« Commis de magasin, s’écrie-t-il, qui se mettent sans façon à la place des monarques ! banqueroutiers frauduleux qui escamotent des diadèmes, vendent à faux poids les trônes dont ils trafiquent, négocient les peuplades pour en garder l’escompte ; escrocs de la tyrannie, dont ils n’ont que la cruauté, non le courage ; insectes dévastateurs, plus funestes que le lion et le tigre !

« Apprenez donc que c’est peu de chose de conquérir ! Tout le monde peut voler : l’honneur est de conserver, de civiliser, de gouverner, d’administrer les nations soumises. Voyons, sortons un peu de cette gloire vulgaire que le fléau de Dieu partageait avec nous. Osons nous examiner. Que la purification de nos erreurs, que l’eau lustrale jetée sur nos crimes, qu’un pouvoir exagéré réduit à de justes proportions, nous confèrent une gloire réservée à nous seuls ! L’année 1756 fera époque, messieurs ; elle a vu l’une des races du nord jeter au cœur de l’Asie des mœurs nouvelles, de nouvelles doctrines, de nouvelles institutions. Relèverons-nous l’Asie déchue, ou la dépouillerons-nous lâchement lorsqu’elle est gisante ? Choisissez !